JACQUES BETLAMINI



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Jacques Betlamini, une vie en 33-tours
Par Olivier Nuc Mis à jour le 19/04/2013 à 18:35 Publié le 19/04/2013 à 18:18

PORTRAIT - Il a commencé chez Lido Musique, continué à la Fnac en plein essor du CD, puis chez Virgin. Comme disquaire à son compte, il accompagne désormais le retour du vinyle.

Ce matin-là, le téléphone sonnait toutes les cinq minutes dans la boutique de Jacques Betlamini, qui accueillait chaque appel d'un aimable: «Timeless Vinyls, bonjour.» Au bout du fil, les interlocuteurs s'enquéraient de la disponibilité éventuelle du rare «picture disc» de Mylène Farmer Je te dis tout, édité dans le cadre du Disquaire Day, qui se tient ce samedi. «Je vais en recevoir très peu, et j'ai déjà quinze ou vingt demandes. Mais rappelez demain en fin de matinée.» Accueillante et ensoleillée, la boutique est ouverte depuis septembre 2012, ce qui permet à son gérant de participer à l'opération pour la première fois. «Je me suis inscrit dès que j'ai pu», explique-t-il. Lancé en France en 2011 par le Club action des labels indépendants français (Calif), le Disquaire Day - déclinaison française de la manifestation anglo-saxonne parrainée cette année par Jack White - remet la profession de disquaire de quartier sous les projecteurs. Derrière son comptoir, Jacques Betlamini est enthousiaste comme un débutant. Pour la première fois de sa carrière, il est son propre patron. «La boucle est bouclée», sourit-il, trente-cinq ans après ses débuts dans le métier. Initié à la musique anglo-saxonne dès l'enfance par un grand frère éclairé, il écoute Soft Machine et Captain Beefheart à peine adolescent, quand certains sont restés bloqués sur les yé-yé. «J'ai toujours baigné dans le rock.» À 17 ans, alors que le punk déferle, il devient DJ. «J'allais chercher mes disques chez Champs Disques ou Lido Musique.» Disparues depuis longtemps, ces deux adresses formeront de brillants disquaires, qu'on retrouvera en partie en maison de disques des années après. Jacques Betlamini connaîtra les différentes étapes de la vie du disque parisien, depuis son âge d'or jusqu'au renouveau actuel du vinyle, en passant par bien des crises. Son parcours est représentatif des mutations de la filière.

«La grande distribution a flingué les disquaires»

Après avoir été employé chez Lido Musique, il intègre la Fnac dans la deuxième moitié des années 1980. En plein essor du CD, qui ringardise le bon vieux 33-tours, il assiste à la grande mutation du métier. Sous l'impulsion de l'actionnaire, la GMF - alors dirigée par Michel Baroin -, la Fnac commence son entreprise de normalisation. C'est l'époque où des personnalités issues de la grande distribution et n'ayant aucune affinité avec la musique prennent les commandes. «On entre alors dans une politique de chiffres, avec des aberrations totales, se remémore Betlamini. Un jour, un ponte de l'enseigne nous a expliqué que nous devions vendre des disques comme si on vendait des clous.» Les vendeurs perdent leur autonomie pour passer les commandes auprès des distributeurs. Après son ouverture en fanfare en 1988 par Richard Branson, et les résultats délirants des premières années, le Virgin Megastore des Champs-Élysées fait alors figure d'eldorado. Jacques Betlamini y est nommé chef du secteur variétés internationales en 1992, un poste qu'il occupera quinze ans. Sous son impulsion, le rayon devient un des meilleurs de la capitale, grâce à l'expertise de ses collaborateurs.
«J'avais des vendeurs spécialisés dans chaque sous-secteur. On avait recréé un rayon vinyles dès le milieu des années 1990. Oasis ou Blur sortaient des vinyles. Et on a été les premiers à diffuser des artistes comme Portishead, Jeff Buckley ou Eels, à une époque où les magasins étaient encore prescripteurs». Attristé par l'annonce de la fermeture de l'enseigne en juin, Jacques Betlamini avoue que le magasin aurait dû fermer dès 1995-1996. «Ce qui se passe aujourd'hui est le résultat des erreurs commises à cette époque. Lorsque je suis parti, en 2007, je pensais que le magasin n'en avait plus que pour deux ou trois ans.» À quelques années près, il ne s'est pas trompé.
Après avoir envisagé plusieurs associations entre 2007 et 2012, l'homme a jeté son dévolu sur un espace précédemment occupé par des grossistes en vêtement, rue de Turenne. Il y vend principalement des vinyles. «L'objet n'est pas mort», affirme-t-il. À l'ouverture, il a été frappé par la jeunesse de sa clientèle. «Des gens de 20 ans, qui n'ont pas connu le CD. Ils viennent du téléchargement et désirent connaître l'objet 33-tours, que la génération précédente avait remisé à la cave.» Banalisée par des années d'exploitation en supermarché, la rondelle argentée apparaît aujourd'hui bien insignifiante en comparaison des belles pochettes de 33-tours.
Jacques Betlamini n'est ni un passéiste ni un snob. Juste un homme qui a assisté aux ravages d'une filière moribonde. «Cette crise, on l'a sentie venir: la grande distribution a flingué les disquaires. Aujourd'hui, Amazon est en train de flinguer la grande distribution. Bientôt, à Paris, il ne restera que Gibert Joseph, une Fnac et des disquaires de proximité.»