Agnès b., collectionneuse affective
LE MONDE | 07.05.04 | 13h53    MIS A JOUR LE 07.05.04 | 16h41

La créatrice de vêtements a tiré de son succès de quoi nourrir son goût pour l'art, soutenant et exposant des artistes, amassant des centaines d'œuvres. Une sélection est visible à Toulouse.

Agnès b. collectionneuse. Ce pourrait être le titre d'une œuvre d'Annette Messager dans les années 1970. Parce qu'Agnès b. est de cette génération-là et parce qu'une grande installation d'Annette Messager figure parmi les pièces maîtresses de sa collection : 900 numéros, beaucoup de photos, beaucoup de jeunes, quelques anciens - Klossowski, Calder, Weegee. .. - qu'elle mêle aux autres quand elle accepte de montrer ses acquisitions. Et dans ce cas, comme aujourd'hui aux Abattoirs de Toulouse, elle fait tout, du dessin de l'exposition à l'accrochage définitif. Elle a besoin de tout contrôler du début à la fin, comme la créatrice de vêtements et patronne d'entreprise.

Quelque 300 numéros de diverses natures, "librement assemblés", sont exposés. Dans une salle se côtoient Nan Goldin, Gilbert & George, Harmony Korine, Diane Arbus, Brassaï, Tracey Emin... Et dans une autre, Robert Barry, Simon Hantaï, Don Judd... Agnès b. aime les rencontres imprévues et surtout les provoquer. Dans la vie aussi. Elle a fait la connaissance de Harmony Korine, avec qui elle a monté une maison de production, dans un couloir d'hôtel à Venise, où il présentait son deuxième film."En vingt minutes on est devenu amis. Je l'adore. Il est vraiment doué." C'est par elle qu'il a rencontré Jonas Mekas et que "Jonas s'est mis à faire un travail sur Harmony. Il y a plein de connexions comme cela qui se font autour de moi. Ce sont des affinités électives. J'ai fait trois expositions à la galerie qui s'appelaient comme cela."

Sa première galerie, la Galerie du Jour, rue du Jour, à côté de Saint-Eustache, a déménagé rue Quincampoix, où Agnès b. a repris les murs de la galerie Jean-Fournier. Ce n'est pas un hasard. "J'ai été stagiaire chez Fournier quand j'avais 17 ans. J'étais dans les réserves avec les Hantaï" Elle possède une toile du peintre : "Je l'ai achetée il y a très longtemps, en 1984, je l'adore, elle est chez moi et je la vois tout le temps." Avec Buraglio, Récalcati et quelques autres, Hantaï fait partie de ce qu'elle appelle son "héritage des années 1970".

"Cela fait vingt ans que j'ai une galerie, et vingt ans que je collectionne sans m'en rendre compte vraiment. Je fais toujours les choses de façon intuitive, impulsive. Je réfléchis bien sûr... C'est plein d'histoires. Chaque pièce en a une." Son Basquiat, comme son Klossowski : "Celui-là, je l'ai acheté il y a trois ans à la FIAC. Il était tout seul le dernier soir. Je passais tous les jours devant en allant au stand. Je ne pouvais pas le laisser. Je trouve que c'est un dessin magnifique sur l'amour... Ces personnages qui se frôlent..."

Agnès b. achète dans une galerie branchée de Londres, rue Louise-Weiss, chez Olivier Antoine d'Art Concept, ou chez Valentin. Et dans les foires. C'est à la Freeze de Londres qu'elle a acquis sa grande photo de Gillian Wearing, où l'artiste se colle dans la peau de son frère avec son pantalon de jogging sale. Le point fort de sa collection reste la photographie, qui a déjà été montrée à deux reprises et a fait l'objet de catalogues. Elle est capable d'acheter sur catalogue, par téléphone, en ventes publiques. Cartier-Bresson lui a fait comprendre ce médium très particulier qu'est l'instantané. Ce qu'elle aime encore dans la photographie, ce sont les regards hors champ, les regards intérieurs, les bords de route, la fugacité.

A Toulouse, elle n'expose pas dans un musée, mais dans un centre d'art. Affectifs, ses critères d'approche de la création ne relèvent pas d'une histoire de l'art, bien qu'une partie de son passé s'y accroche. Son père, avocat à Versailles, a été le premier à lui apprendre à voir, en l'emmenant, gamine, dans les musées d'Italie, ou en lui faisant visiter des églises sur la route des vacances dans le Midi. A Versailles, Agnès Troublé aimait la beauté de la nature maîtrisée, qui satisfaisait son "fond mystique". Elle a aussi appris à dessiner aux Beaux-Arts.

La jeune fille voulait se rapprocher de l'art, être conservateur de musée. Elle deviendra créatrice de vêtements presque malgré elle. A 20 ans, après son divorce d'avec l'éditeur Christian Bourgois, l'ami d'enfance épousé à 17 ans, il fallait qu'elle se débrouille seule. Elle s'habillait aux puces et à Monoprix, le journal Elle l'a remarquée et engagée à choisir des vêtements. Pourquoi ne pas les faire elle-même ? "Comme j'aime beaucoup les gens, ça m'a toujours fait plaisir de faire ce travail. Je me mets dans leur peau."

PROFIL ORIGINAL

Commence alors l'histoire d'Agnès avec ce petit b venu de Bourgois, qui, suivi d'un point, deviendra une marque célèbre dans le monde entier. Avec Agnès b., tout semble arriver naturellement, ce que résume l'écriture cursive de son logo, et ce b, avec un point, c'est tout. L'impression de spontanéité qu'elle dégage va bien avec le peu de temps dont dispose la femme d'affaires. Elle en a pris pourtant pour avoir cinq enfants et en trouve encore pour ses nombreux petits-enfants. Elle en a pris aussi pour monter une galerie en dehors de sa boutique et en trouve toujours pour sa grande famille d'artistes. Ni snob ni mondaine, elle n'a pas le profil convenu dans les milieux de la mode et du business.

Classée comme figure originale, Agnès b. a souvent été portraiturée. Aujourd'hui, la soixantaine dépassée, elle garde un look jeune, décontracté, avec ses yeux et ses cheveux d'ange, ses pantalons de cuir et le cardigan à pressions qu'elle a inventé en 1979, son best-seller. Son image résiste bien à l'épreuve des entretiens, où elle reste volontiers sur la défensive, non sans brusquerie.

Pour certains, Agnès b. est une dure, pour d'autres c'est quelqu'un de généreux. Tous ont sûrement raison. Comment être à la tête d'une entreprise comme la sienne sans carapace ? Comment aider les plus paumés des artistes, comme il lui arrive de le faire, sans générosité ? De l'argent, elle ne parle pas, qu'il s'agisse de ses activités de mécène, de son soutien aux causes humanitaires ou de sa collection. "Ma collection, c'est mon unique luxe. Je n'en ai pas d'autre puisque je travaille beaucoup."

Geneviève Breerette

"La collection d'art contemporain d'Agnès b. Je m'installe aux Abattoirs." Les Abattoirs, 76, allée Charles-de-Fitte. Toulouse (Haute-Garonne). Tél. : 05-62-48-58-01. Jusqu'au 13 juin. Du mardi au dimanche, de 12 heures à 20 heures.

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 08.05.04