AMOUGIES 1969 (2)

 

27/10/1969… comme un lundi 

Le batteur-Chaman des Pretty Things fendait la foule endormie décochant de grands coups de pied dans les gisants. Il shootait, cognait déchirant ses bottines sur des corps inertes. La baguette plombée virevoltait dans sa main droite, martelant la cymbale qu’il tenait dans sa main gauche en fragile équilibre sur un pied argenté. Get up ! Wake up ! Danse macabre, répétitive, hypnotique, simple, laborieuse mais payante car Ils se levaient et tapaient dans leur main, surpris d’être encore un millier présents et la clameur montait de la foule qui s’applaudissait et le chapiteau revivait porté par une énergie neuve. Skip Alan pouvait remonter sur scène et retrouver les Jolies Choses. Il  rejoignait dans la légende le premier batteur des Pretty Things, le déglingué Vivian Prince, vidé du groupe pour irresponsabilité chronique. Le Festival était relancé sans doute pas par le groupe le plus inventif du moment mais en tout cas par une des formations les plus respectées des véritables fans, des aficionados qui en ce lundi bruineux poursuivaient l’aventure jusqu’au bout de leur résistance physique.

 

The Pretty Things : les plus jolies choses du monde ne sont que des ombres. ( Charles Dickens)

J’ai toujours eu un petit faible pour les Pretty Things. Dès mon adolescence j’avais punaisé dans ma chambre une photo d’eux extraite de Salut les copains. Ils posaient hargneux devant des poubelles. Un groupe d’irréguliers, de rebelles. Dick Taylor, premier bassiste des Stones, Phil May, les cheveux les plus longs de la scène rock, Vivian Prince, un phénomène à la Keith Moon, crasseux, incontrôlable, tellement ingérable que les autres seraient obligés de le remplacer par Alan Skipper, ancien accompagnateur de Donovan.

Patrick, Solo et Marc se régalaient. Deux titres des Pretty Things figuraient au répertoire des anciens Primitiv’s. Ils ont du les jouer au moins pendant trois ans de rallyes mondains en Clubs de vacances. Mods chantait Midnight to six men. On devait tous penser à lui en ce moment : le grand absent. Putain de trip ! dire que j’avais remplacé le chanteur des Primitiv’s au casino de la Roche sur Yon en chantant Tu perds ton temps de Ronnie Bird, l’adaptation française du don’t break me down des PT fringué comme Antoine avec treillis, chemise à fleurs et la phrase de Zimmerman bombée  dans le dos… like a rolling stone ! J’avais affronté les injures et les crachas pour la cause du Pop, je méritais bien de savourer aujourd’hui la version originale, illuminé par une intense satisfaction égotique.

Tu perds ton temps ! Mods, Caddy, Solo 

Les Pretty Things sont sortis sous les rappels et les vivas. Yes se préparait à prendre la suite avec son rock progressif virtuose, ses accélérations planantes et ses textes ésotériques. Le public se regroupait, d’autres spectateurs arrivaient pour la soirée ; pour Ame Son l’heure de vérité approchait. Ils succèderaient aux anglais d’ici cinquante minutes.

 

Marie portait la caisse claire, je la suivais transportant le tome alto. Marc finissait de clouer sa grosse caisse sur le bois de la scène. J’avais revêtu une ample djellaba noire au col de broderies blanches qui traînait dans un coin des coulisses comme Mick Jagger en Mars 1966 à l’Olympia. J’me prenais les pieds dans les pans du vêtement ; pas vraiment pratique pour escalader le podium. François Garrel branchait ses pédales. Les guitaristes s’accordaient. Annonce du speaker… maigres applaudissements… douze secondes de plomb… La tension est extrême, palpable ; l’adrénaline céleste. On s’est reculé à l’arrière de la scène. Marie salue Jérome Laperrousaz et son équipe qui filme déjà.

AME SON : FLOWER POP

Ame Son , Hameçon, le fils de l’âme ???  On connaît pas ce groupe .. !

 

 Noir… juste le bruit des baguettes de Marc donnant le tempo… Lumières… Septième Temps Clef… La basse  vrombit, la batterie cogne, la flûte s’envole, la guitare déchire… Seventh Key Time… éclosion des éléments qui s’enchaînent… eau,  terre, air, feu… Alchimie des éclairs, tourbillon de cascades, nœuds dans l’éther, une plainte déchire l’espace et le temps… Cri de la naissance. La voix de Marc survole la lame de son : I just want to say . Pari gagné ! Ils n’ont pas tremblé et le public vibre. Le rythme assymétrique s’estompe,  ralentit… nous ne serons qu’un quand viendra la  fin… une phrase répétée jusqu’à son paroxysme… orgasme sonore en français… Arrêt impeccable, tranchant… Souffle coupé, le public désarçonné tarde à réagir… Silence- pupille, les premiers applaudissements suivis d’autres plus nourris, plus chaleureux. C’est gagné, l’affaire est pliée, ils n’ont plus qu’à dérouler l’album Catalyse… on était allé les rejoindre à Londres avec Nathalie Nell pour l’enregistrement d’une partie de leur 33 tours juste au début du mois. Patrick Fontaine conduisait une déesse 19 couverte de PV. Une facture que nous avons laissé à la Perfide Albion pour protester contre la dissolution des Beatles…   Les titres s’enchaînent : chrysalide, unity, comme est morte l’évocation, de quelle tribu es-tu, le mal sonne… je plonge mon regard dans l’assistance. Au troisième rang, j’aperçois Ronald et Marie Laure, valeureux rescapés du camping, qui  mitraillent zoom Zen ; à quelques Nikon de là, Jérome Laperrousaz filme encor et toujours… Fausse sortie. Un rappel… Ame Son termine par à coup de hache. Le monde change, vacille… les tables tournent, les sables mouvent… Charles Manson et sa secte de déments assassinaient Sharon Tate sur les collines d’HollyWood après avoir écouté sous acide Helter Skelter des Beatles. Sur les murs en lettres de sang Pigs… ces pauvres flippés déchiffraient des messages subliminaux dans les textes du White Album… Les sabres ouvrent, les tarent bougent…

 Les quatre musiciens saluent : merci. Merci à toutes et à tous . Peace. A bientôt.

François Garrel, flute et Marc Blanc, guitare.

Supplément d’AME :  Petit morceau de bois, qui, placé dans l’intérieur d’un instrument à cordes, communique les vibrations à toutes les parties de l’instrument. ( Latin : anima)

Bande SON : sert à  l’engraissement des animaux de basse cour. (Latin : sonus)  

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Epilogue.

 L’année 1969-1970 ( j’ai toujours pensé en année scolaire et non civile ) s’est terminée en apothéose ou en cataclysme… Tout est dans tout et inversement comme disait le Guru Tym.

 Le vieux tube Citroën n’a pas terminé sa carrière en frites-merguez  au camping de la Pinède ou en plats cuisinés chez Momo, avenue de la mer. On avait pourtant caressé ce projet saisonnier avec Marc. Il a cédé la place à un sémillant mini bus Volkswagen, la fourgonnette hippie par excellence.

Marie Rivière relayait souvent Patrick au volant du mini bus. Le groupe a tourné de MJC en festival avec Jacques Dudon en première partie. Il jouait en open, la guitare sur les genoux.

J’ai abandonné progressivement mes études pour devenir un marginal. Je lâchais la proie pour l’ombre. Pour le plaisir, je suivais encore deux cours à Censier ; avec Jean Maitron, le mandarin du syndicalisme révolutionnaire ainsi qu’une unité de valeur exotique consacré aux sociétés secrètes en Chine, un épisode inédit de Tintin et le Lotus Bleu.

Jack Kerouac et Brian Jones ont ouvert la liste des cadavres exquis, premiers de la classe J comme… junky.

Joey Faré, Nathalie Nell, Marie Rivière… Nos compagnes nous invitaient au firmament…

Pourtant nous sommes restés désespérément underground .. !

 

Enfermé dans ma piaule, j’enchaînais les nuits blanches au rythme du solo de batterie de in a gada da vida de Iron Butterfly, fumant un mélange sucré de H et de Clan dans une bouffarde en écume de mer. Je réécrivais la Saison en enfer et les Illuminations sur une vieille machine à écrire récalcitrante, des centaines de feuillets. J’ai détruit toutes ces pages dans un accès de déprime quelques années plus tard. Je le regrette aujourd’hui.

Début Juillet nous avons fait le grand saut avec Joëy Faré : un aller simple Istanbul et un billet open Bombay-Paris ! Nous sommes partis tout au bout de La Grande Route, au pied du toît du monde. De repaires en repères, Pudding Shop à Istamboul, le Bagdad Hôtel à Téhéran, le Najib Otel à Kabul, l’Oriental Lodge à Katmandu , nous suivions les traces des précédents pour nous perdre et nous découvrir. Nous fracassions notre couple, nos egos, nos jalousies, nos désirs aux réalités glaciales du quotidien.

Après la froidure d’Amougies, Ame Son a vécu la canicule de Biot. Autant l’automne fut une réussite, une immense communion entre public et musiciens, sans flic, sans S.O. musclé, sans arrière pensée, autant l’été fut un fiasco,  stars obnubilés par le fric, organisation défaillante et groupuscules infantiles . Ame Son et Gong firent honneur à leur réputation mais Biot périclita ; un véritable gâchis et ce n’était que le début. Marcellin reprit la main. Il interdit les maos et les festivals de Pop Music pourchassant impitoyablement toute contestation politique, artistique et même capillaire. Le pays était coupé en deux, l’après Mai allait mettre dix ans à se cicatriser…

Une inscription bombée sur la vespasienne du boulevard Arago le 31  décembre 1969 résumait bien notre état d’esprit … Nos  cheveux ne seront jamais aussi longs que notre dégoût… ( signé le Freak Inconnu )

 

L’amer du Nord… JJB alias Caddy alias Léon Cobra en 1969.

 

Gadougies FIN Gamougies

http://leoncobra.canalblog.com/

L'article de Paul ALESSANDRINI sur Amougies dans "Rock & Folk"

Festival d'Amougies 1969 [archives] Par Jean-Jacques Birgé

AMOUGIES par Jean-Noël Coghe - 2 CD inclus

Amougies 1969 : le Woodstock franco-belge oublié