THIERRY ARDISSON

Thierry Ardisson
en 10 dates


5 janvier 1949.
Naissance à Bourganeuf (Creuse).

1972-1987.
Publicitaire chez BBDO, TBWA et Business.

1976-1978.
Editeur de «Façade».

1985.
«Descente de police» (TF1).

1988-1990.
«Lunettes noires pour nuits blanches» (A2).

1992.
«Ardimat» (A2).

1992-1995.
Editeur d'«Entrevue».

1995-1996.
«Paris dernière» (Paris Première).

1997-1998.
«Rive droite,
rive gauche» (Paris Première).

1998.
«Tout le monde
en parle» (F2).

«Les Années-provoc»
(Flammarion).


Thierry Ardisson, Yannick Noah et jean-Luc Maître lors d'une
descente de police musclée pour Rock & Folk (1980)

 



Par LUC LE VAILLANT
PHOTO FRANÇOISE HUGUIER-RAPHO

Le 19/09/1998

 

«Je me souviens de mon père
en prière, à genoux devant son lit.
Ça marque.»

C'est quoi le concept, ces temps-ci ? C'est châtelain attendri de ses outrances passées, maniaque du boulot faisant fructifier son capital «créatif», cinquantaine apaisée et magnanime. Il y a même papa et maman rendant une visite surprise et s'éclipsant vers la cuisine d'un : «Te dérange pas. On connaît le chemin.» Thierry Ardisson aurait-il fourgué ses diableries en soldes fin de série ? L'animateur télé aux provocations sexe, drogue et tutoiement («La sodomie, ça te plaît ? La coke, t'as essayé ?»), l'inquisiteur émoustilleur des intimités du show-biz, l'afficheur du slogan «Toute vérité est bonne à dire» se serait acheté une conduite. Le nuitard fumant des pétards avec des partouzards ne serait plus qu'un pater familias rêvant de sa gentilhommière normande où l'attendent ses chevaux, sa descendance, son épouse. Info ? Intox ? Un peu des deux. Il y a la vie qui passe, la nuit qui lasse, l'argent qu'on amasse, et le cynisme qui fatigue, l'agressivité qui pèse sur l'estomac, le rentre-dedans qui fait boomerang. Marre de jouer les Méphisto, envie de pacifier son environnement. «Il passe beaucoup de temps à se réconcilier», explique un observateur. A cela s'ajoute ce besoin animal de toute bête de média (télé mais aussi pub, presse, édition) : bien sentir l'époque, et qu'elle ne vous ait pas dans le nez.

Extrêmement daté années 80 (fric, frime, frasques), Ardisson a mis un bail pour se remettre au diapason de ces temps Tartuffe (vertu, compassion, contrition). Il a commencé par baisser la garde question animation d'émissions, s'est concentré sur la production. Il a vendu son magazine Entrevue, très trash, qui le mettait en porte-à-faux avec les décideurs de la télé épinglés avec délice. Sa dernière incursion dans la presse est significative du basculement de l'ancien héros des flambeurs : ça s'appelle J'économise et ça s'adresse aux rapiats de la consommation. Il s'est refait une virginité en faisant retraite sur le câble (Paris-Première). S'y est façonné une aura de respectabilité, via une quotidienne culturelle de bonne tenue (Rive droite, rive gauche). Y a également mis en scène l'effacement de son ego lors d'une balade sous les néons (Paris la nuit) où l'intermédiaire mettait sa curiosité hors champ. Au final, Ardisson revient dans la lumière d'une chaîne généraliste (F2) en arbitre des tendances («Tout le monde en parle» ), pas en Kenneth Starr des petits tas de secrets à paillettes. Lui qui réfute la distinction privé-public pour les puissants, qui regrette de ne pas avoir interrogé Mitterrand sur Mazarine, se met donc à l'heure tiède de «ce média très compassé».

Avec tout ça, qu'en est-il des emblèmes de son personnage ? De cette signalétique, vestimentaire, idéologique qui marquait sa différence, validait son existence ? Postures ou impostures ? Le costume de clergyman est toujours noir. Il l'a dit souvent : ça mincit, il n'aime pas son physique, il a un gros cul. Le ton est moins rogue. Le sarcasme traîne un peu en chemin. La vacherie patiente en gare. Il semble avoir perdu ces façons de rejeter de guingois la fumée de ses Marlboro, en mâchouillant des «ouais» dubitatifs, très mec à la redresse. Au front, la perplexité des rides en réseau confirme son désabusement, sa perplexité devant la nature humaine. Mais sans excès.

Là où il persiste et signe avec le plus de vigueur rusée, c'est en matière de convictions. Quand l'adorateur des Beatles parti faire hippie à Goa, l'ancien accro à l'héroïne prônant la légalisation du cannabis, le libertaire ferraillant pour un hédonisme individuel s'était déclaré royaliste et catholique, Paris en avait fait des gorges chaudes, flairant un marketing de dandy. Dix ans après, la paternité venue qui peut lui faire interroger ses origines, Ardisson confirme qu'il se sent plus proche du traditionalisme de la branche paternelle que du communisme de la filière maternelle. «Je me souviens de mon père en prière, à genoux devant son lit. ça marque», admet celui qui rechigne à évoquer une enfance solitaire, avec souvenirs empilés dans une caisse en bois qu'il trimbalait lors des fréquents déménagements de l'ingénieur des travaux publics. L'élève des Salésiens ne met pas les pieds dans les églises mais apprécie que son aînée aille au catéchisme. Il croit à la vie éternelle et «respecte» la Vierge Marie, admettant juste : «Bon, l'Immaculée Conception, je ne m'en mêle pas trop.» S'il est pour le préservatif, il est plus réservé quant à l'avortement. «Chacun est libre de faire ce qu'il veut de son corps, mais personnellement...» Et cela «peine» celui qui réalisait des interviews-confessions en soutane quand on attaque Jean Paul II, «quand on dit qu'il sucre les fraises ou qu'il a un anus en plastique».

A l'abord, son royalisme paraît bien tempéré, européen, moderne. Né un 6 janvier, jour des rois, Ardisson en pince pour une monarchie constitutionnelle qui ne serait pas sans afficher un lointain cousinage avec une Ve République par temps de cohabitation. Il célèbre la rupture de Juan Carlos avec le franquisme. Essaie de découpler tout ça d'avec Maurras et l'extrême droite. Précise que «Louis XVI n'était pas Hitler». Semble étonné que l'écrivain Gérard Guéguan l'ait accusé d'avoir «dérapé dans une flaque de sang bleu». Comprend mal qu'on n'adhère pas à un pouvoir héréditaire et génétique que sauverait son refus de l'absolutisme. Mais que répondre à ce légitimiste qui a l'outrecuidance de taper sur l'épaule du prétendant au trône, le citoyen Bourbon, en l'appelant par son petit nom (Louis) quand il est convenu de lui servir du «monseigneur» ?

Catho-provo, sarcastico-aristo? Peut-être, au-delà des étiquetages qu'il sollicite, Ardisson est-il surtout un maniaco-dépressif devenu homme d'ordre pour endiguer ses pulsions destructrices (tentative de suicide, drogue). Celui qui aime à se présenter comme «ne respectant pas grand-chose mis à part les rois et les papes» vit dans un univers totalement ritualisé. Menu, ces temps-ci : brochettes de volaille, riz. Avant, il y a eu les périodes viande des grisons, carottes râpées ou poissons surgelés. Poche intérieure gauche de sa veste : la carte de crédit et la «médaille de la chapelle miraculeuse de la rue du Bac». Poche extérieure droite : les cigarettes. Poche extérieure gauche : le portable. Toujours à la même place. «Un médecin m'a dit : "De toute façon, vous resterez un addict." Maintenant, je me drogue à la normalité. Je suis devenu ultranormal.»

A force, il a fini par réaliser ses rêves les plus standardisés. Gamin, il guignait les maisons de maître, il est propriétaire d'un domaine. Son père roulait en Dauphine quand il aurait voulu une DS. S'il n'a toujours pas passé son permis de conduire, il estime gagner 200 000 F par mois. Il se serait bien vu écrivain, mais l'intendance ne lui aurait pas suffi. «J'avais envie de voyages en première classe, de chambres de palace.» Il admire l'imaginaire de Philip K. Dick, l'auteur de SF, et le style de Paul Morand. Il a commis cinq, six livres mais est tombé pour un petit plagiat : «J'en ai été profondément humilié.» Reste la télé. Il en était le diablotin. En deviendra-t-il le sacristain?.

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