LE FESTIVAL D'AUVERS SUR OISE 1971

 

D’après Bataklan, dans son blog Nos années 70

Dès la mi mai 1971, la rumeur a commencé à se répandre dans toute la France, et en particulier en région parisienne, où on annonçait la tenue d’un grand festival pop GRATUIT avec Grateful Dead, Jefferson Airplane, Rolling Stones, Pink Floyd, Led Zeppelin…Après Reading, l’île de Wight, Woodstock, Amougies, ca y est, on le tenait enfin notre festival à la francaise. L’organisateur ? , un couturier francais, célèbre pour habiller les stars de St Tropez, qui décidait de tout plaquer pour faire autre chose et pourquoi pas, offrir à la jeunesse francaise SON festival tant attendu.

Début juin, la rumeur devient réalité : On connaît les dates, ce sera le week-end du 18, 19, 20 juin 1971, et le lieu, sur la propriété de l’organisateur Jean Bouquin à Auvers sur Oise soit suffisamment près de Paris pour faire venir 200 000 personnes, dit on…
Dans mon lycée, c’est une réunion préparatoire en salle de permanence, qui permettra de déterminer qui vient, qui peut avoir une voiture ou un parent, copain, accompagnateur. Rendez vous est donné le vendredi 18 juin à 13h00 Porte de la Chapelle.

Entre temps, l’affiche évoluait au gré des rumeurs, Pink Floyd ne venait plus, Jefferson non plus car Grace Slick venait d’avoir un accident de voiture, Led Zeppelin ? Il n’en a jamais été question, Rolling Stones ? Probable, ils sont actuellement en France…malgré cela, on devrait voir quelques bons groupes anglais et américains et nos frenchies du moment…

Le 18 Juin au matin, sous un ciel gris, des milliers de jeunes avaient répondu à l’appel et commençaient à affluer vers Auvers sur Oise. Dès le début d’après midi la route était bloquée et il fallait terminer les derniers kilomètres à pieds. Vision hallucinantes de centaines de chevelus marchant vers le temple….sous le regard des paysans du cru, inquiets pour leurs parcelles ! A l’arrivée, des baraques, des tentes, des gens partout, on parle de 20 000 personnes déjà, un grand pré et la scène enfin, découverte pour mieux profiter du spectacle, la musique a déjà commencé..

En milieu d’après midi, la pluie commence à tomber, rigolade générale on refait Woodstock !
Il pleut de plus en plus. Et puis le groupe sur scène s’arrête de jouer, sans protection, sans bache, la scène devient plus que dangereuse, la sono a lâché, la lumière aussi !... La pluie continue, plus forte, on cherche tant bien que mal un abri, on piétine, on patauge dans une immense mare de boue. Bouquin, dégoulinant, au micro, essaie de remonter le moral des troupes mais c’est trop tard, ca tourne au cauchemar.
La pluie continuera jusqu’au samedi, et l’annulation du festival que tout le monde redoutait (ou espérait ?) interviendra au début de la nuit.
Jean Bouquin aura beau distribuer de la nourriture, faire appel à la Croix Rouge, aux pompiers, il se retrouve maintenant avec 20 000 jeunes sur les bras, trempés, frigorifiés, affamés et bloqués dans ce parc maudit..
Pendant la nuit, beaucoup ont déjà quitté le navire. Il n’empêche, dès l’aube, le public continue d’affluer vers le site, malgré la police, les pancartes disposées sur la route et les annonces sur les radios nationales. A des kilomètres à la ronde, c’est une immense pagaille !

Samedi 19 Juin 1971, au petit matin, ce fut pour nous un retour à la maison, fatigués, sales, hagards, minables et honteux de donner raison à nos parents… "j’t’avais bien dit de pas aller te fourrer dans ce bordel !!!"

Voila ce qu’il est resté de notre Woodstock à la française, un formidable gâchis, pour Jean Bouquin (il a investit 60 MF de l’époque), pour les groupes, ceux qui sont venus et les autres, mais surtout pour tout le public qui a cru qu’un marchand de chiffon pouvait s’ériger en grand du Rock..
Des grands groupes, seul Grateful Dead fera le déplacement mais personne ne les verra à Auvers….mais déjà la rumeur annonce le Dead à Paris, quelque part, pour un concert gratuit…..

Jean Bouquin, après avoir échoué dans la Pop, dans la politique, dans le cinéma, est aujourd’hui propriétaire et directeur du Théâtre Déjazet et là, au moins, c’est une réussite !

Sa biographie sur le site de la mairie du 3ème arrondissement

LE GRATEFUL DEAD AU CHATEAU D'HEROUVILLE

Dans les jours qui ont suivi le désastre d’Auvers sur Oise on annonçait un possible concert surprise de Grateful Dead dans un lieu tenu secret…probablement Bobino ou l'Olympia. En réalité ce concert a bien eu lieu mais là ou on ne l’attendait pas et devant 200 personnes, seulement.

La scène se passe au Château d’Hérouville, dans les studios du même nom, pilotés par Dominique Blanc Francard. Le Dead s'y trouvait d'ailleurs dès le vendredi, alors qu’à une poignée de kilomètres, des milliers de paumés se faisaient trimballer dans la boue. Pour tous ces gens, le Dead c’était les fabuleux concerts des Fillmore (dont tout le monde parlait, alors que seulement très peu de français avaient eu le bonheur d’y assister !), Woodstock, le psychédélisme, le LSD, les concerts de 4 heures sous acide, LE mythe quoi !
Et le mythe était là, pour 200 paires d’yeux et d’oreilles…

Dans le N° 55 de Rock et Folk, en Août 1971, Jacques Chabiron, nous raconte en détail, cette illustre soirée que je résume ici :

 « Ce lundi 21 juin 1971, le château de Michel Magne était cerné par les gendarmes qui filtraient les arrivées. Derrière les grilles, grouillaient des chevelus par dizaines, membres du groupe, personnel, visiteurs. Les 18 personnes du Dead et les 4 tonnes et demi de matos étaient arrivés le vendredi directement de San Francisco. Après un dîner qui réunit 50 personnes, le machine se mit en route petit à petit et démarra après une heure d’installation, par un bœuf avec un groupe d'anglais de seconde zone, emmené par son saxophoniste free. Jerry Garcia tenta plusieurs fois de jouer mais était à chaque fois découragé par une rythmique bruyante et brinquaballante. Fianlement, vaincu par le bruit, Garcia abandonna et posa sa guitare. Mais après une heure, ENFIN SEULS !! Au milieux du studio trônaient Garcia, Phil Lesh, Bill Kreutzman, Bob Weir, Pig Pen..

Dès les premières notes les 175 villageois invités, qui n’avaient jamais entendu parler de Grateful Dead, se mirent à danser et dansèrent ainsi pendant plus de 2 heures riant de plaisir, criant leur joie sans se forcer le moins du monde. S’ils avaient connu les paroles, ils auraient chanté !

Michel Magne savait recevoir, nourriture, boissons à volonté. On aurait pu remplir la piscine du chateau avec tout le champagne consommé. D’ailleurs certains s’y précipitaient sans même prendre le temps de se déshabiller !! Pendant ce temps, Jerry Garcia jouait, improvisait, longtemps, très longtemps, sans ennuyer qui que ce soit.. Et les caméras de Pop2 filmaient…
Et les gens dansaient toujours, infatigables, mais impatients lorsque les musiciens s’arrêtaient quelques secondes entre deux morceaux...

Puis la garden party continua avec un autre groupe de San Francisco qui jouait une musique « abstraite » qui marquera les auditeurs plus par ses cris perçants et ses basses fréquences que par sa faculté à transporter l’auditoire..

Vers 2 heures du matin, l’air se rafraîchit, les baigneurs se serraient autour d’un feu pour sécher leurs vêtements. Puis la musique s’arrêta, à l’intérieur, chevelus en tuniques et gendarmes cols ouverts discutaient. Dehors Jerry Garcia, dans la nuit noire discutait avec un sonorisateur...
Partice Blanc Francart, ravi, tenait son enregistrement de Pop2, pris directement sur le 16 pistes de son frère…
 » 

Tiré et adapté du récit de Jacques Chabiron



A la question : pourquoi avez-vous accepté de venir jouer gratuitement en France, Jerry Garcia répondra : "La France est un pays qui semble fascinant, vu d’Amérique… …je préfère donner des concerts gratuits… lorsqu’il faut payer ça pose souvent des problèmes et ça se termine souvent mal…et alors nous jouons mal, car nous sommes très sensibles au climat qui règne là ou nous devons jouer"

ET VOILA POURQUOI CE CONCERT EST ENTRE DANS L’HISTOIRE !!


J’ai retrouvé un témoignage de Jerry Garcia :

The group's most exotic gig in 1971 was a one-shot in France. "We went over there to do a big festival, a free festival they were gonna have," Garcia said. "We went over [at the promoter's expense], but the festival was rained out; it flooded. We stayed at this little chateau [Chateau d'Herouville] which is owned by a film score composer who has a 16-track recording studio built into the chateau, and this is a chateau that Chopin once lived in; really old, just delightful, out in the country near the town of Auvers, which is where Vincent Van Gogh is buried. ...
"We were there with nothing to do: France, a 16-track recording studio upstairs, all our gear, ready to play, and nothing to do. So, we decided to play at the chateau itself, out in the back, in the grass, with a swimming pool, just play into the hills. We didn't even play to hippies, we played to a handful of townspeople in Auvers. ... We played and the people came — the chief of police, the fire department, just everybody. It was an event and everybody just had a hell of a time — got drunk, fell in the pool.
It was great."

Pour les amateurs de Grateful Dead, ce site extraordinaire où l’on peut retrouver des extraits en MP3 de tous leurs concerts…malheureusement, manque celui d’Hérouville. :
http://www.gdlive.com/

  Merci Julien d'avoir retrouvé la liste des morceaux joués ce soir là :

Hard To Handle
Deal
Morning Dew
China Cat Sunflower
I Know You Rider
Playing In The Band
Big Boss Man
Black Peter
Bertha
Casey Jones
Cryptical Envelopment
Drums
The Other One
Wharf Rat
Sugar Magnolia
Sing Me Back Home
Johnny B. Goode

On peut écouter des extraits du concert à cette adresse :
http://www.archive.org/details/gd71-06-21.sbd.hanno.4643.sbeok.shnf


Jerry Garcia and Ian Samwell à côté du Chateau d'Hérouville en 1971.

Ray Basden, webmaster du site consacré à Ian Samwell, sur lequel on voit une photo de Jerry Garcia à Hérouville (Ian Samwell est le créateur du "Move it" de Cliff Richard en 1958, un des premiers hits du rock anglais)
http://www.saber.net/~orb/photos3.htm m'a envoyé cette information :

I do have a very good account of the event at Herouville from an excellent book called The Dead Book, a Social History of the Grateful Dead by Hank Harrison published in 1973 by Link Books.

Here is the most pertinent excerpt:

"The Dead started to play just before the sky got dark, but their entire set was illuminated by bright lights from the Paris socialized television station Link Two, which rebroadcast the event the next week. Their film technique was flawless, as one would expect from a French film team; the camera people were completely unobtrusive on the musicians; the lights bugged Phil a little. Pig Pen just barely recovered in time to sing after downing his two bottles of duty free Wild Turkey . . . Weir was in fine primal scream voice, and Garcia settled into his trancelike lassitude from which emanates the famous electronic genius that is particularly his.

They played for three hours, and during this time the workers and the fire department and little children lit hundreds of candles and placed them around the pool as if it were a religious shrine . . . a Lourdes or place of healing waters. As the party progressed, the candles were extinguished by the bodies of of various drunken celebrants being thrown in the pool by other drunken celebrants. The Dead played louder and louder; the locals had never heard anything like it before and they were delirious."

Tentative de traduction :

 « Le Dead a commencé à jouer juste avant la tombée de la nuit, mais la totalité du set était éclairé pour les besoins de la 2 ème chaine de la télévision qui retransmettait l'évènement la semaine suivante.
La technique était impeccable, ce que l'on pouvait attendre de la part d'une équipe de film francaise; les cadreurs se faisaient discrets sur les musiciens; les projecteurs ont un peu assommé Phil. Pig Pen a juste récupéré à temps pour chanter, après avoir descendu ses 2 bouteilles de Wild Turkey du duty free . . . Weir ..? .voix percante, et Garcia settled into his trancelike lassitude? de laquelle émanait le celèbre génie électronique qui était le sien.
Ils ont joué pendant trois heures, et pendant ce temps les ouvriers, les pompiers, et les enfants allumèrent des centaines de petites bougies qu'ils placèrent autour de la piscine comme s'il s'agissait d'une procession religieuse . . . à Lourdes ou dans un lieu d'eaux thermales. A fur et à mesure que la soirée avancait, les bougies étaient éteintes par des corps de participants ivres jetés dans la piscine par d'autres participants tout aussi ivres. Le Dead joua de plus en plus fort; et les gens du coin n'avaient jamais entendu une telle chose auparavant et ils étaient en plein délire !
 »
Il me manque quelques mots mais on percoit bien l'ambiance  


Bataklan

 
Xavier « Gideon » Gentet :

 Ce fameux festival d'Auvers je l'ai vécu de l'intérieur : par je ne sais plus quel contact, nous avons été présentés à Bouquin et engagés dans l'équipe de l'organisation. Le premier rdv s'est fait dans sa boutique (coin rue St Benoît-G.Apollinaire) : des filles filiformes essayaient des robes vaporeuses dans les cabines à vue !

 Nous allions travailler pendant plusieurs jours dans le fort-western où toute l'équipe s'était installée à proximité du site d'auvers ; ça sera l'occasion de croiser quelques personnages...

 La suite est connue : le jour J, le temps vira à l'orage, dans le même temps et sous une pluie battante des milliers des gens arrivaient de partout embouteillant dans un rayon de 50kms les voies départementales, communales ou même vicinales ; des heures durant les routes de l'oise restèrent bloquées, la gendarmerie dépassée...

Devant une telle catastrophe le festival fut annulé le soir même, de notre côté il avait fallu mettre tout le matériel à l'abri du déluge ! Nous avions eu notre Woodstock dans la boue... mais seuls quelques groupes avaient joué l'après-midi !

 Le lendemain, le jour se levait radieux et ensoleillé... Tous les artistes prévus étaient pourtant au rendez-vous le grateful dead particulièrement qui, n'ayant pas joué pour le festival, souhaitait donner un gig malgré tout ; le château-studio d'hérouville étant proche fut réquisitionné ; le lundi toute l'équipe et des "happy few" furent conviés à l'événement...

Le Dead s'installa sur la pelouse du château à deux pas de la piscine et attaquait bientôt une de ses fameuses prestations étirées dans le temps ; j'en ai un souvenir pas banal mais confus, comme beaucoup de ceux qui avaient accepté de "Pig Pen" une infime goutte de liquid-acid et pour qui ce fut un real high festival !

 J'étais l'été suivant à Biot où là tout s'est très bien passé...