LE DERNIER TRIP DE FRÉDÉRIC PARDO

Par Philippe Azoury — 24 décembre 2005

Dandy de la contre-culture des années 60, le peintre psychédélique au parcours atypique est mort lundi.


Frédéric PARDO  © jean mascolo



  Tina AUMONT © jean mascolo

Avec la disparition, lundi, du peintre Frédéric Pardo des suites d'une longue maladie, c'est une étoile discrète du Paris psychédélique qui s'est éteinte. Pardo, paradoxalement, était moins connu des amateurs de peinture que des cercles cinéphiles ou de tous ceux que la contre-culture passionne. Et cela à divers titres. Il fut, vers 1964, le premier garçon à porter ici les cheveux longs, laisser-aller romantico-rock qui scandalisa la rue et le propulsa chef d'une bande qui avait élu position à la Coupole, et dans les rangs de laquelle se retrouvaient Philippe Garrel, Didier Léon, Olivier Mosset, Daniel Pommereulle, pour les garçons, Zouzou, Valérie Lagrange et Tina Aumont (qui sera sa compagne) pour les filles. Il n'avait alors qu'un rival en dandysme, le futur Goncourt Jean-Jacques Schuhl.

Alchimiste. Filleul de Jean-Paul Sartre (la mère de Frédéric Pardo était proche des soeurs Beauvoir), il avait aussi pour marraine Madeleine Malraux, troisième épouse d'André. D'une famille d'antiquaires (par son grand-père émigré de Turquie) et de galeristes (via son père, Roland Pardo, qui ouvrit la galerie Pardo, boulevard Haussmann à Paris), il reçoit dès l'enfance une culture artistique loin des modes, apprenant au Louvre la peinture française du XVIIe siècle (celle-là même dont la galerie Pardo se faisait une spécialité), la Renaissance versant nord (Grünewald, surtout), ou encore les préraphaélites et les symbolistes décadents. A cela vient s'ajouter une initiation (par Kalarwein) à la méthode de la tempera, une peinture à la détrempe dont le liant est à base d'oeuf. Une méthode ancestrale, perdue, alchimiste, qui est aussi, par le temps qu'elle exige, un apprentissage de la patience, du silence et de la rareté. Autant de qualités qui définissent le style Pardo, peignant une pop imagerie exubérante de couleurs, petites chapelles psychédéliques qui semblent n'avoir pour destinée picturale que les visions offertes par la prise de LSD 25.

Dans ses années d'apprentissage électriques, Pardo n'aimait rien tant que de visiter le Louvre sous trip, redécouvrir Rubens dans un état de raideur avérée. Musicalement, il est l'un des Fabuleux Loukoums, futurs Jeunes Rebelles, aux côtés de Garrel, Kalfon, Clémenti, Lagrange, Léon (BO de Week-End de Godard, du Lit de la vierge de Garrel). Il apparaît par trois fois dans les happenings de Jean-Jacques Lebel, et filme (en super-huit) à Marrakech Home Movie, un journal du tournage du Lit de la vierge. C'est dans la maison qu'il habite avec Tina Aumont à Positano (baie de Naples), que Philippe Garrel rencontre la chanteuse Nico. On peut voir Pardo à l'oeuvre, minutieux et silencieux, sous un arc ensoleillé, dans le Berceau de cristal, film rare de Garrel (1974), dont il fit aussi l'affiche (devenue à son tour pochette du disque de la bande-son krautrock du groupe Ash Ra Tempel).

C'est aussi la période où Pardo refuse d'exposer, peint les portraits de ses amis (qui le lui rendent bien : Pommereulle avait déjà fait le sien avec des lames de rasoir), des femmes qu'il aime : la brune Tina Aumont, puis la blonde Dominique Sanda. C'est avec elle qu'il habitera, à partir des années 1970, un immense atelier à Rambouillet, qui avait été celui de Gustave Doré.

Portraitiste officiel. L'expo que lui consacre la galerie de Seine en 1976 est visitée un jour par un invité de marque, François Mitterrand, qui lui passe commande d'un portrait. Le Président restera fidèle à Pardo qui, non sans ironie chez ce pur produit contre-culturel chic, devient un portraitiste officiel du prince socialiste. Au même moment, il acquiert aux enchères des photos orientalistes de jeunes filles arabes déshabillées prises par Lehnert et Landrock. Le fonds appartenait à l'acteur érotomane Michel Simon. De ces photos XIXe siècle, il fera de grands tirages papier sur lesquels il posera de la couleur, aboutissant à une sorte de sépia illuminé.

"L'art du portrait, l'Orient comme obsession et le temps perdu dans les limbes d'une rêverie mystique, le démarquent de tous les courants. L'expo à Beaubourg des années pop l'a oublié, mais pas les cinéphiles qui ont reconnu beaucoup de lui dans le personnage du peintre des Amants réguliers, le dernier Garrel. L'éternel jeune homme allait avoir 62 ans en février.



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