Leslie Winer, retour d'héroïne
Rock. L'album enregistré dans les années 80 par l'égérie de Burroughs paraît enfin.

Par ERIC DAHAN

Le mardi 14 septembre 1999






«Les gens vénèrent la jeunesse de façon maladive. Moi, j'aime les enfants mais je n'ai pas peur de vieillir.»
Leslie Winer, en 1999

 


DR

Au Palace, le journaliste Alain Pacadis, l'écrivain William Burroughs et Leslie Winer. Elle est l'une des rares survivantes de la bande.
Leslie Winer
CD: «Witch» (Rhythm King Music/Virgin).

La nouvelle avait surpris au beau milieu de l'été: Leslie Winer était à Paris. On la croyait morte. Peu ont survécu de la bande du Palace des années 80, d'Alain Pacadis et Lychee assassinés à Frédéric Dayan ayant succombé à la première overdose d'ecstasy. Leslie Winer ne plaisantait alors pas avec le plaisir, et l'angoisse, sans doute.

Garçonne. En ce début de décennie 80 où un William Burroughs pouvait, à l'invitation de Fabrice Emaer, venir lire ses textes au Gay Tea Dance du Palace devant deux mille mecs en jean déchiré et bandana backroom, son apparition avait fasciné. Etrange gosse à l'accent des banlieues américaines et au profil de Bowie saisissant, Leslie Winer allait faire craquer la bande: Gaultier, Mugler et les autres. Pote garçonne arrogante en marcel blanc sur jean noir, donnant du fuck off à faire rougir Iggy Pop, elle venait d'ailleurs. Dans un raccourci digne de Jerzy Kosinski, sa jeune destinée avait déjà croisé le pavé new-yorkais, le bunker de William Burroughs, la jet-set rock et «ce connard de Mick Jagger qui débarquait chez Bill sous prétexte de lui rendre une visite amicale et qui passait deux heures à appeler l'étranger, oubliant que tout le monde n'est pas businessman comme lui».

Malgré l'épaississement de la carrure germanique imposant la robe tunique et les sandales, la Leslie Winer de 40 ans a gardé ce regard, ce visage incroyablement rock. Une sorte de bonne Nico élevant ses cinq filles dans la banlieue de Boston et faisant de la musique électronique lorsqu'ils sont couchés. Pour la pochette de Witch, son premier album, qui paraît ces jours-ci, la maison de disques a choisi une photo fameuse prise à table au Privilège, le restaurant du Palace où l'on pouvait encore croiser Warhol ou Keith Haring au milieu des années 80. Mais, contrairement à ce que proclame l'annonce publicitaire («réédition de l'album culte des années 80»), ce CD n'est jamais paru. Au mieux, certains en auront entendu des extraits lors des défilés de Helmut Lang, un fan fidèle.

Intertexte. Mais l'objet bien emballé peut, en cette rentrée où Bryan Ferry dîne au Royal Mondétour, accompagner le revival de la culture des années 80. Au mieux de 5, Winer évoque le Brian Eno de Music for Films, avec l'onirique Dream, le meilleur de Material. Au pire, elle reste plus agréable qu'un Alan Vega dans le registre bruitiste répétitif prétexte à des expériences avec une poésie de l'intertexte. Elle n'aime juste pas être comparée à Laurie Anderson, qu'elle doit trouver trop musicienne et pas assez amazone. La production rappellera des souvenirs à ceux qui écoutaient Fleurs de romance, l'émission - pour le coup culte - de Thierry Planelle et Theo Hakola sur la Voix du lézard. Entre new wave, dub sophistiqué à la Sly & Robbie et pur dance-hall, le disque est loin d'être anodin ou monocorde.

Opiacés. Leslie est née la nuit de Noël 1958 à Ludlow, dans le Massachusetts, et a été adoptée cinq jours plus tard par un père agent immobilier et une mère connectée au monde d'Ornette Coleman et Charlie Mingus. La grand-mère vendeuse d'antiquités lui fait apprendre des livres de poésie victorienne par cœur. A 11 ans, elle vole des analgésiques puissants contenant des opiacés, traîne avec des gamins qui vendent de la coke. A 17 ans, elle s'installe à New York à un bloc du club CBGB. Celle qui n'a «jamais voulu être quelqu'un» va pourtant taper dans l'œil d'une éditrice du magazine Mademoiselle, qui l'invite à faire des photos à Milan. Un voisin écrivain, fan du mouvement beat, veut lui présenter Burroughs. Elle répond: «Qui a quoi que ce soit à foutre de cette vieille tante?» Quelques jours plus tard, elle passe ses après-midi avec l'écrivain, qu'elle voit comme un «grand-père» et avec qui elle construit des avions et tire au pistolet. Parfois, les «idiots» débarquent à l'improviste, des «fans» comme Patti Smith ou Joe Strummer, qui «passent la soirée à lui tailler des pipes».

Vieillir. Pendant sa liaison avec Jean-Michel Basquiat à Paris, elle défraie la chronique des palaces: «Je ne me souviens pas qu'on ait fait quoi que ce soit de scandaleux, à moins qu'un Noir et une Blanche qui baisent ensemble, ce soit scandaleux. Ils ont détruit Jean-Michel, après lui avoir tout pris.»

De ce passé déjà si loin, elle n'a rien de plus à dire: «Les gens vénèrent la jeunesse de façon maladive; moi, j'aime les enfants mais je n'ai pas peur de vieillir.» Son aînée, 13 ans, chante à l'opéra de Boston et l'initie au classique. Le soir, elle lit Balzac, des féministes ou des livres de médecine. Elle écrit, surtout. C'est sa principale activité depuis l'enfance: «Je dois le faire, ça me rend heureuse.».

©Libération

La Vache qui lit, le blog de Leslie Winer