Depuis qu'ils ont perdu le match de
football 4 à 3 contre l'équipe des rock critiques, les Pink Floyd ne jouent
plus. Cette année, par exemple, ils ont fermement décliné un gaillard défi
de nos athlètes qui leur proposaient une revanche à l'occasion de leur passage
par Paris. Et depuis, c'est un vent de désolation
qui soufflait sur nos rockers qui, pour ne rien vous celer, pratiquent un
entrainement intensif depuis trois ans déjà, envahissant chaque samedi les
terrains de foot parisiens, moulés dans leurs maillots lamés et pailletés. Aussi, l'annonce que Bob Marley et ses
Wailers avaient pour habitude de disputer un match de foot dans chaque capitale
où ils donnent un concert souleva une vague d'excitation. Et une équipe de
rock se prépara à aller croiser le ballon rond avec les fils de la Jamaïque.
Surprise, le matin du match "France-Soir" annonçait que les Wailers
rencontreraient l'équipe des Polymusclés. Gaillards colosses moulés dans de sémillants
t-shirts verts, les Polymusclés étaient en effet au rendez-vous. Cette équipe,
constituée de vétérans du show-biz, de la télé et du cinéma, semblait si
cohérente et décidée que les rock-critiques se retrouvèrent du côté des
Wailers (en trop petit nombre, de toute façon). Quelle ambiance! Nos athlètes s'échauffent
en tirant des buts, les Wailers poussent leur ballon et se font d'arabesques
passes. Profitant des dernières lueurs du jour, une équipe d'Antenne 2
interviewe même Bob Marley. La journaliste: M'sieur Marley,
ne trouvez-vous pas étrange de jouer une musique de pauvres et d'être aussi
riche? A 9 h, les deux équipes prennent
place. Philippe Paringaux se carre fermement
dans ses buts. Marjorie Alessandrini va souhaiter bonne chance à Paul, qui joue
inter-droit. Minute émouvante que celle-ci ! Bob Marley est ailier gauche,
Francis Dordor ailier droit. Jean Louis "Soul Bros" Lamaison est arrière
droit Les Wailers se répartissent au centre et à l'arrière. Equipe hétéroclite
que la nôtre ! En face les Polymusclés semblent de sérieux, voire
d'invincibles concurrents. Ça y est ! Coup de sifflet, c'est la première
attaque fermement menée par Paul Alessandrini qu fidèle à sa devise, flashe
littéralement le but adverse. Mais les Polymusclés opposent une défense
brutale, sinon cohérente, et très vite Bob Marley voit la balle lui échouer
entre les crampons. Finement, il remonte, à la limite de la touche, jonglant
littéralement avec le cuir faisant preuve d'une indéniable agilité. On ne
peut pas lui prendre la balle ! Alors, le jeu s'organise; malgré leur
démarrage fulgurant, les rockers semblent perdre
l'avantage. Deux descentes ventre à terre viennent s'écraser contre le
but de Paringaux qui dégage immédiatement. Heureusement, l'un des Wailers
reprend l'affaire au pied ! C'est Family Man Barrett,un gros rasta bourru qui
marmonne des prières en shootant et qui, grâce à Jah, va marquer le premier
but à 9 h 35. Mais cette joie est de courte durée! Bob Marley est canné! Inquiet, visiblement, il vient à l'arrière, souffrant du pied. A son tour, Francis Dordor se fait remarquer en bloquant une balle hasardeuse par un saut " en crapaud" que ne suivra hélas aucune action, notre ami semblant en perte de souffle. Cependant, secondé par Jean-Marie Leduc (immortel auteur de l'ouvrage "Pink Floyd " aux éditions Albin Michel), Paul Alessandrini remonte, inquiétant les Polymusclés jusqu'à la mi- temps. 1-0.
Une petite pluie fine s'est mise à
tomber, glaçant les innombrables spectateurs de marque (Brenda Jackson,
Jennifer Bier, Michel Bourre, Philippe Kœchlin et Madame, Jean Tronchot, le
Cheapthrilleur, François Ducray, Régis Logivière, la famille Givaudan,
Monsieur Cristiani et Madame). Cette mi-temps voit quelques
changements dans les équipes. Jean-Louis "Memphis" Lamaison, Bob
" So Jah Said" Marley et Francis "Heat Treatment" Dordor, épuisés,
quittent le terrain. Le bassiste de Bijou (qui devait s'avérer aussi dangereux
avec un ballon qu'à la guitare) remplace Lamaison, Bruno Caruso, malgré un équipement
de fortune, rentre aussi. Les Wailers, bien protégés par leurs bonnets de
laine et leurs anoraks, ne semblent pas souffrir excessivement de la pluie. Il
en va autrement de nos joueurs qui, maculés de boue, vont faire la preuve de
cette énergie qui manque si cruellement à nos groupes de rock, Un mot, donc,
pour Leduc et Alessandrini, fonceurs acharnés qui inquiétèrent sans trêve ni
répit les Polymusclés, marquent but sur but élevant sans arrêt le score. Un
mot aussi pour Philippe Paringaux qui fit l'admiration de Bob Marley (qui vint
lui tapoter amicalement le ventre en lui disant " the best "... un
comble !) statue hiératique repoussant avec une fermeté bourrée de classe les
tirs lourds des Polymusclés. Un mot, enfin, pour le Cheapthrilleur qui, véritable
héros du journalisme, accompli son devoir jusqu'au bout, restant dressé sur le
bord du terrain, battu par le vent glacial et la pluie, griffonnant de fiévreuses
notes sur son bloc rouge. En effet, le show-biz s'était de
longue date replié sur les bars ou les vestiaires que nous restions
pratiquement seul (soutenu cependant par deux membres de l'organisation Skydog
venus nous demander un autographe). Moments de rigueur et de solitude qu'atténua
à peine la visite d'une des chanteuses des Wailers : moulée dans un levi's
sombre, ses cheveux pris dans un fichu bigarré, elle nous entretint de la forme
de Bob entre deux éclats de rire. "
Ho! Ho! Hi! Hi! Regardez comme il a grossi ! " Et c'est vrai que
Marley prend du ventre! Alors, le football, est-ce une tentative désespérée
pour... retrouver la ligne? " Non! Bob a toujours adoré jouer au foot 1
Mais depuis peu, il mange mieux! Hu ! Hu ! " Le temps que nous regardions
cette héroïne digne des crayons d'un Hugo Pratt s'éloigner et.., les
Wailers/Rock critiques marquaient leur sixième but !!! Terrassés, les Polymusclés tentèrent
l'impossible, implorant une prolongation de dix minutes... prolongation qui leur
fut accordée avec magnanimité sans que cela changeat en rien le score final
qui restait donc de six à un vers 23 h 15... Une victoire retentissante pour
nos amis du rock... et du reggae! Alors, après une heure et demie d'efforts
tous les joueurs se précipitèrent dans les vestiaires où je pus pénétrer
sans grand problème (grâce à mon backstage pass). Et là, il nous faut
remercier la maison de disques des Wailers qui, dans un admirable élan de générosité
et d'abnégation, n'avait strictement rien prévu Oui, ami lecteur et toi aussi,
ami du sport vous avez bien lu. Rien. Pas la plus petite goutte de bière, pas
le moindre verre de soda pas le plus anodin des sticks de ganja, pas la plus
infime tartelette. Nos joueurs, transis épuisés mais heureux, quittèrent donc
leurs vêtements crottés et reprirent le chemin de leurs foyers où ils purent
annoncer à leurs familiers DEUX records: -Les verts étaient battus. -Au terme d'une longue lutte,
Phonogran venait d'enlever la coupe de maison de disques la plus spartiate de
France. C'est pas de jeu! - PHILIPPE MANŒUVRE. Rock& Folk 1977 |