Mort du journaliste Maurice Najman
Militant gauchiste; il avait travaillé à «Libération».

Par VINCENT NOCE

Le vendredi 5 février 1999







Au carrefour du journalisme, de la politique, de la musique et du cinéma, Maurice Najman est toujours resté fidèle aux idées de
son enfance.
 


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Maurice Najman fut, à 18 ans, l'une des figures de mai 68.

Peu importe de vivre, l'essentiel est de voyager. Maurice Najman, mort hier dans un hôpital parisien, à 50 ans, journaliste entre beaucoup d'autres choses, aurait pu en faire sa devise. Il s'est éteint, après avoir mené plusieurs vies de front. A 18 ans, il fut une des figures du mouvement contestataire de mai 1968. Elève à Jacques Decour il avait été le fondateur des comités d'action lycéens (CAL), dont la première réunion parisienne, en décembre 1967, rassemblait huit personnes. La première manifestation des CAL était destinée à protester contre l'exclusion de son lycée d'un trublion nommé Romain Goupil qui, devenu cinéaste, a réalisé un film sur le suicide de son ami Michel Recanati (Mourir à 30 ans), dans lequel il fait parler Maurice Najman. Romain Goupil voulait en faire un autre sur la vie, les vies, de Maurice, qu'il fait apparaître dans son prochain film «A mort la mort».

Brillant orateur. Le 6 mai 1968, quand tous les gauchistes étudiants sont enfermés à la Sorbonne par la police, c'est à la sortie des lycées du quartier latin qu'éclate une émeute spontanée. Maurice Najman s'impose peu à peu comme le représentant du mouvement lycéen. Brillant orateur, la cigarette au doigt, s'exprimant d'une voix rauque, agitateur d'idées il avait naturellement un ascendant dans les assemblées générales. Le mouvement lycéen se déchira vite dans les scissions dès 1969.

Maurice Najman se plongea dans le tourbillon des années 1970. Jusqu'à son dernier jour, en fait, ce fils de communiste juif polonais resta fidèle aux idées de son adolescence, au sein d'un petit groupe mi-trotskyste mi-libertaire qui faisait plutôt figure de club d'intellectuels que de véritable organisation. Militant révolutionnaire, il courait de révolution en coup d'Etat ou en guerre civile, du Portugal à la Pologne en passant par le Chili. Il fut de la campagne avortée de Coluche aux présidentielles, et de celle du communiste dissident Pierre Juquin. L'année dernière encore il participait à une occupation de locaux avec l'association «Droit au logement». En même temps il pouvait apparaître dans une «initiative Rimbaud» à la Villette, ou organiser avec plus ou moins de succès un concert de rock.

Maurice Najman à La Chapelle-Gaugain (Sarthe), circa 1971. © Jean Segura

Il poursuivait ses tours du monde comme journaliste, collaborant tout d'abord à Libération, puis à l'Evénement du jeudi, L'Autre Journal, ou aux Nouvelles littéraires. Son ultime article, consacré à la «guerre technologique» en Irak, est paru dans le dernier hors série du Monde Diplomatique. La chute du mur de Berlin le fit accourir en Allemagne puis à Moscou, où l'ancien chef des services secrets est-allemands Markus Wolf s'est confié à lui. Maurice Najman était fasciné par cet intellectuel juif aux mains sales, communiste convaincu qui avait survécu aux purges antisémites, fantôme des militants du Komintern. Il se lia d'amitié au Mexique avec le sous commandant Marcos et en revint avec des reportages et pour animer un réseau de soutien aux zapatistes.

Contre les médecins. C'est surtout dans l'audiovisuel qu'il sut développer ses talents, collaborant notamment avec l'agence Capa. Son dernier documentaire sur la chute du mur, «Le dos au mur», réalisé pour France 3, a été primé récemment au festival d'Angers. Au carrefour du journalisme, de la politique, de la musique et du cinéma. Il était resté étroitement lié à une mère très attachante, qui avait échappé à Auschwitz, à laquelle son frère, Charly, consacra un film (La mémoire est-elle soluble dans l'eau d'Evian). Quand on lui demandait si elle appelait son fils tous les jours, avec un fort accent yiddish elle s'indignait: «mais non! Ce n'est pas vrai! Parfois c'est lui qui m'appelle.»

Ces derniers mois, lui pour qui la parole comptait tant était devenu presqu'aphone à la suite d'une opération. Mais Maurice, qui parlait le yiddish, faisait toujours retentir son rire des blagues juives qu'il racontait. Il avait ses phobies, ne supportait pas de se retrouver seul, mais ne laissait pas les médecins s'approcher de lui.




©Libération

PS - UNE GRANDE FETE A ETE DONNEE A L'ELYSEE-MONTMARTRE AVEC TOUS SES AMIS LE JOUR DE SES FUNERAILLES CONFORMEMEMENT AUX SOUHAITS DE MAURICE.