GREGORY ISAACS, NEGRIL, 1980  


Gregory Isaacs et les Roots Radics, Negril, 2 août 1980 (photo Martine Simonet)

 

Ca a été mon concert de cet été 1980 en Jamaïque, et c'était peut-être LE concert de l' été en Jamaïque. De quoi moins me faire regretter beaucoup d'être arrivé juste après le Sunsplash. Surtout que Mr Cool devait chanter au Sunsplash et qu'il avait déclaré forfait, trouvant sans doute que Kingston n'était pas assez cool pour lui en cette période électorale. Je dois vous dire tout de suite que Gregory était déjà depuis longtemps mon chanteur préféré avant que je ne mette les pieds en Jamaïque. J'avais ses meilleurs disques,en albums, singles ou Disco 45 sur les dizaines de labels pour lesquels il a enregistré. Et n'oubliez pas, kiddies, que Mr. Cool n'a jamais enregistré de mauvaise chanson. Des très bonnes et des bonnes, c'est tout. Et il ne fait pas partie de la nouvelle vague, ... il fait partie de la vague éternelle jamaïcaine. Il est celui qu'on écoute tout le temps là-bas, ses anciens disques comme ses derniers. Dans , les boîtes où je suis allé, c'est le seul dont on passait des séries de disques : parfois une dizaine de ses succès à la suite (et on peut en trouver encore plein). Les Jamaïcains adorent Bob Marley: c'est leur porte-parole international, leur héros national comme Marcus Garvey. Mais leur chanteur préféré, c'est Gregory Isaacs, le Cool Ruler. Son répertoire se partage entre chansons d'inspiration Rasta ("The Border", "Mr Know-it-all", "Poor and Clean") et chansons d'amour ("My number one", "Tune in" , "Soon Forward"). Et sa voix ! Il pourrait réciter l'annuaire du téléphone, il le ferait génialement. Et ce soir, c'était LUI qui chantait à Négril, dans un concert en pein air organisé sur le terrain de Bigga pour l'anniversaire de celui-ci. Le concert, comme beaucoup en Jamaïque, commençait tard : début vers 22 h., passage de la vedette vers 1 h. du matin. Le genre d'horaire qui me convient, pas vous? Je dois dire que ce concert m'est resté comme un des meilleurs souvenirs de mon séjour en Jamaïque, c'était carrément magique et j'avais les larmes aux yeux. D'abord l'endroit : un terrain ni trop grand ni trop petit qui appartient à Bigga, énorme Rasta qui pourrait prendre la succession de Jacob Miller. Avec une maison toute en longueur où dans la journée on peut trouver de l'artisanat Rasta (Ethiopian Craft Center) et où le soir on peut boire une bière, et jouer aux dominos en écoutant du Roots Reggae qui sort très fort d'une pièce où les murs sont des haut-parleurs ! Quand vous vous mettez au milieu, ça fait de l'effet, je vous le jure ! Gare à votre verre ! Ce soir, l'endroit est aménagé pour le concert. Très bonne organisation, et la confiance règne avec les musiciens car l'organisateur est un Rasta. Le public : je pense aux petits carreaux du Ska, pas parce qu'il y a des Pork-Pie hats, mais parce que ce soir c'est noir et blanc mélangé et c'est un bel exemple d'harmonie raciale qui contribue beaucoup au succès de cette soirée. Beaucoup de Rastas sont venus de Kingston (à 150 km de là) : pas mal de ces Rastas sont avec des filles blanches. Je suis venu avec Dillian. On a fait du stop pour venir de la ville et on a été pris par 2 Rastas très cools avec des spliffs de sensi et une cassette live d'un D.J complètement délirant dans une marée d'échos. Excellente introduction ! Maintenant, le concert lui-même: l'orchestre qui débute le show, les Studs. Ils accompagneront tout le monde, sauf Gregory. Ils sont sympa, ils assurent, ils ne sont pas dreadlocks, ils sont habillés en rouge (assez genre pro) et ils ont un guitariste chinois. Première chanteuse : j'ai oublié son nom, une minette à lunettes bien gentille mais qui ne reste que pour deux chansons soul/reggae. Ensuite, une sorte d'acrobate indien rasta avec de très longues dreadlocks, l'homme en caoutchouc, the Rubber man. Puis une danseuse de Rumba, danse qui se veut sexy et qui est parfois un peu vulgaire. Premier chanteur: Cho Cho Andy, ou le Madoo de Montego Bay. Madoo a vraiment la cote, pour avoir déjà des imitateurs.Cho Cho Andy en est un assez bon: même look (jeune mec assez fin sans dreadlocks), même voix androgyne inspirée de Horace Andy, même répertoire avec les deux gros succès de Madoo, "Joe Grine", et "Hotel Fee", chef d'oeuvre du Reggae " slackness ". Puis c'est avec un des D.J. les plus connus du moment que le spectacle continue : Papa Richie (avant, les D.J. s'appelaient Prince, Jah ou Ranking, maintenant, c'est souvent General ou Papa)


Ce soir il ne toastera pas sur des disques, mais avec l'orchestre. Il est vraiment bien, cool et speedé à la fois et il déclenche les premières vraies réactions de la foule. Je me souviens de 2 de ses titres: "Christian Meeting" et une chanson en hommage à Jacob Miller, pas triste d'ailleurs: "Jacob Miller, he was a great entertainer, Go deh!" Puis, c'est le passage roots: Prince Teba and the sons of Thunder, 3 chanteurs percussionnistes sans instruments électriques. Ce sont ceux qu'on peut voir à un moment dans "Reggae Sunsplash" et qui délirent bien devant la caméra. Leurs chansons sont toutes à la gloire de Jah Rastafari et sont très proches de la musique traditionelle africaine. J'aime beaucoup, mais je préfère le Reggae. Ensuite, un long break, le temps d'une Red Stripe et d'un bon joint. Enfin, le nouvel orchestre de Gregory se met en place, les Roots Radics. Ce sont des Rastas, je ne connais pas leurs noms, et ils sont nettement mieux que l'orchestre qui accompagnait les autres : plus violents, plus de cohésion aussi. Il y a un des guitaristes qui fait des petits solos bluesy, il manque peut-être juste une section de cuivres. Le présentateur annonce "the man with the golden voice, mr. Gregory Isaacs!" et c'est le délire. Les Jamaïcains ADORENT Gregory Isaacs. Et moi, je craque: ce mec très élégant qui arrive en dansant, c'est mon héros, comme James Brown ou Keith Richards peuvent l'être pour d'autres (d'ailleurs Keith et Gregory ont joué ensemble, mais c'est une autre histoire) Et le concert se déroule comme un rêve dans la nuit douce de Negril. Gregory est pariculièrement en forme ce soir me dira Martine qui l'a déja vu plusieurs fois. Il se donne vraiment, et chante longtemps. Le concert se terminera vers les 3 h du matin. Il faut dire que c'est l'anniversaire de Bigga et Bigga, c'est son copain. Gregory attaque avec "Mr. Brown" et tout le monde reprend: " Hey, mr. Brown!". Il chante son si bon cocktail de chansons d'amour et de chansons rastas et à chaque fois son émotion et sa sincérité passent dans sa voix unique au monde. Moi, je fonds, j'ai les larmes aux yeux et je danse, cool comme tout le monde autour de moi. Je n'ai pas envie de draguer, pourtant il y a de bien jolies daughters, je suis trop dans ces chansons qui se déroulent comme dans un rêve et que je connais toutes. "Storm ", que l'on a beaucoup entendue à la radio au moment du cyclone Allen, "My number one", "Slave master","Tune in" , "Poor and clean" qu'il décrit comme étant l'une de ses préférées, "the Border", chanson rasta remplie d'intensité, et un très long "Soon forward". Greg est très élégant, comme toujours: il porte le pantalon et le gilet d'un costume beige made in a London. Il a un chapeau rond aux couleurs rastas. Il danse très bien, économe de ses mouvements comme les gens d'ici. Mr. Cool a l'air bien défoncé ce soir. Quand il introduit les morceaux, il murmure, on a l'impression qu'il va s'évanouir, comme Keith Richards dans ses bons jours; mais sitôt que le morceau commence, il se donne à fond, et c'est lui qui nous réveille avec sa voix, aussi bonne que dans les disques. Des Rastas qui se tiennent près de la scène s'approchent de lui pour lui serrer la pince; quand l'un d'entre eux y parvient, il n'en peut carrément plus. Mieux que l'eau de Lourdes ! Il y en a même un qui arrive à monter sur la scène pour danser à côté du maître. Et bien sûr tout se passe comme en Jamaïque, c'est à dire COOL RUNNINGS. Quand est-ce que Gregory obtiendra le succès qu'il mérite en dehors de son pays? Peut-être au mois de septembre, lors de sa tournée anglaise qui, si un promoteur est assez intelligent, devrait le mener aussi chez nous.

 

REGGAE POSSE