Mon histoire avec Gloria a commencé à l'automne 79. Je l'avais connue par l'intermédiaire de mon amie Claudine, et depuis quelque temps nos liens s'étaient resserrés. J'étais presque tous les soirs chez elle, dans son nouvel appartement de la rue Jacob, à deux pas de la place de Fustemberg. Avec d'autres amis, on prenait de l'héro et de la coke et on discutait en écoutant la " Metal Box " de PIL, le nouveau groupe de Johnny Rotten, le premier Cure, Patti Smith, Suicide, de la musique de drogués, quoi !
Nos rapports, encore au stade amical, étaient chaleureux, et tendres. J'étais très attiré par elle, elle me fascinait complètement, en apparence elle avait tout pour elle : belle, riche et intelligente. Elle était plutôt de type scandinave, mince, de taille moyenne, avec de longs cheveux blonds et des yeux bleus ; ses traits étaient réguliers, mais il lui manquait peut-être une part de mystère pour être très belle. Elle s'habillait bien mais sans ostentation, ni baba cool, ni BCBG et l' "Heure bleue" de Guerlain était son parfum préféré. Sa mère était une princesse romaine et son père un aristo juif d'origine autrichienne, et un des plus grands industriels d'Italie.
|

|
Depuis quelques années elle vivait à Paris où elle suivait des études de philosophie à la Sorbonne, parce qu'elle aimait beaucoup cette ville, mais peut être aussi pour être à l'abri des Brigades Rouges italiennes qui s'étaient fait une spécialité d'enlever des riches héritières et de demander une rançon. Elle avait déjà beaucoup vécu, avait été mariée à un Italien, avait divorcé, avait essayé toutes sortes d'expériences sexuelles et de drogues. Ce qui était étonnant chez elle, c'est que ça ne se voyait pas qu'elle faisait autant d'excès : elle paraissait tout à fait saine, sans doute parce qu'elle avait les moyens de prendre des produits de bonne qualité, qu'elle n'était pas obligée de galérer pour en trouver et qu'elle souffrait rarement du manque.
Parmi les habitués de la rue Jacob, il y avait Larry Debay, un des meilleurs amis de Gloria. C'était un Français qui avait vécu à Londres pendant plusieurs années, où il avait travaillé pour des boutiques et des labels de rock. Il était connu là-bas comme " ze Frenchman with ze green beard " : en effet à l'époque hippie, il arborait une magnifique barbe verte avec ses cheveux longs, et ne passait pas inaperçu le samedi à Portobello Road ! De retour à Paris, il travaillait avec Marc Zermati, le fondateur de l'Open Market et du label Skydog, spécialisés dans les groupes précurseurs du Punk Rock comme les Stooges ou les Flamin' Groovies. Larry était un type très intelligent, calme et courtois, assez "british". Il aimait jouer avec sa copine Sylvie à la pop star déglinguée et sa groupie, comme le journaliste Nick Kent, avec leurs pantalons moulants et leurs boots de Kensington Market. C'est sous son influence que Gloria avait participé financièrement à la production d'un groupe de rockabilly, les Rockin' Rebels, expérience qui ne se révèla pas être un grand succès.
François était aussi un des meilleurs amis de Gloria : c'était
un étudiant, intello, fluet, pâle, boutonneux, avec des cheveux mi-longs et de grandes lunettes, intelligent, cultivé et homosexuel. Il était d'origine modeste et Gloria l'avait pris sous son aile. Elle était très généreuse avec ceux qu'elle aimait et elle logeait François dans un studio à côté de son appartement. Ils travaillaient souvent ensemble et ils
avaient une grande connivence intellectuelle.
C'était l'époque de la prise d'otages des diplomates américains en Iran, Gloria était farouchement pro-occidentale, comme Larry et moi, et elle voulait sauter en parachute sur Téhéran ! Au moment où j'écris ces lignes, on est encore dans le même contexte après l'attaque des barbares islamistes sur New York. Elle m'a aidé à prendre conscience que je n'étais pas vraiment " de gauche ", alors que c'était dans l'air du temps pour la plupart des gens de notre génération. Larry partageait nos idées, il avait même un frère qui était plutôt " Nouvelle Droite ".
Et un soir, tout naturellement, j'ai passé la nuit avec elle, dans son grand lit à trois places. Ce fut une nuit d'amour à la fois fougueuse, douce et tendre, et nous ne sommes pas sortis pendant plusieurs jours, passant notre temps à baiser et à nous défoncer. Et puis nous nous sommes disputés, pour une raison idiote, et je suis rentré à Ville d'Avray, chez Véronique, où j'habitais alors. J'étais triste, bien sûr, mais Véronique a été super, elle m'a consolé, et nous sommes sortis ensemble, à St Germain et aux Halles.
Quelques jours plus tard, coup de téléphone de Gloria : elle partait pour les Deux Alpes avec François et me proposait de me joindre à eux. J'acceptais bien volontiers et nous partîmes dans sa Ford Fiesta en écoutant des cassettes de dub, ou bien celle que lui avait faite Marc Zermati et qui contenait toutes les versions de " Gloria ", avec l'original de Them bien sûr, et celles des Shadows of Knight, de Patti Smith, d'Eddie and the Hot Rods, etc... Les Deux Alpes ne sont pas une station très difficile, Gloria et moi étions de bons skieurs, mais nous avons été sidérés par François qui était très à l'aise sur les pistes alors qu'il en faisait pour la première fois ! Le 1er janvier 1980, début d'une nouvelle décennie marquée par l'invasion de l'Afghanistan (déjà !) par les troupes soviétiques, nous avons dîné avec un groupe d'allemands euphoriques et le champagne a coulé à flots. Puis nous sommes rentrés à l'appart et avons fait l'amour. François était dans la pièce à côté et il faisait un peu la tronche car, tout homo qu'il était, il était amoureux de Gloria, comme tout le monde. Il aurait sans doute aimé se joindre à nous, elle n'aurait pas dit non, mais je n'en avais aucune envie
Et puis, au retour des Deux Alpes, re-engueulade, encore pour un motif futile bien sûr, et me voila à nouveau à Ville d'Avray ! Mais cette fois-ci, nous ne nous sommes plus vus pendant plusieurs mois. Puis nous sommes réconciliés et nous avons renoué, en termes amicaux cette fois. J'allais la voir de temps en temps et je l'aidais dans son boulot de lectrice pour une maison d'édition de gauche italienne, Einaudi. Sa mère était souvent là et je crois qu'elle m'avait à la bonne car j'étais plus "rassurant" que d'autres de ses amis. Gloria et moi avions de grandes discussions philosophiques sur le sens de la vie, elle était athée, moi mystique, elle était plutôt pessimiste et moi plutôt optimiste.

Gloria et moi au Club med en Corse, 1980
|