MON MAI 68


Pour célébrer les 40 ans de cet évènement, voici un reportage audio sur Mai 68 réalisé en 2006 par Marie Kergoët, étudiante en journalisme, avec Bernard Bacos, Jean-Pierre Le Goff, Martine Storti.

En Mai 68, j'ai été plus spectateur qu'acteur. D'un côté c'était un moment d'effervescence formidable, irréel, avec un immense élan de liberté, tout le monde se parlait, les barrières s'effondraient, on se déplaçait en stop dans Paris,.. Mais je n'adhérais pas du tout aux idéologies marxiste, maoïste, trotskiste, etc,.. qui inspiraient beaucoup des étudiants qui manifestaient. Alors qu'on avait tant besoin de liberté, pourquoi prendre comme modèles des régimes totalitaires comme la Chine ou Cuba ? Je n'ai jamais vraiment compris cet aveuglement collectif venant de personnes "éduquées". C'est pourquoi je n'ai pas eu envie de prendre des coups pour des idées qui n'étaient pas les miennes. Le joyeux bordel, la fête, oui, mais l'idéologie et le dogmatisme, non merci ! En 68, je n'éprouvais pas de haine pour "l'ordre bourgeois", je ne souhaitais à personne de "crever, salope", je ne trouvais pas que "les CRS étaient des SS", et, malgré un besoin criant de réformes et d'évolution de la société, je ne pensais pas que la solution était de "faire la révolution" pour instituer un ordre nouveau qui avait échoué partout dans le monde et causé des millions de victimes. Alors, dans la journée j'étais au Quartier Latin, à la Sorbonne ou à l'Odéon occupés avec mon amie Catherine Néréssis, où on avait droit à des successions de discours interminables par des gens qui se prenaient pour Lénine, et qui se croyaient obligés de recadrer le sujet toutes les cinq minutes en disant qu'"on ne parlait pas assez des ouvriers", lesquels se foutaient pas mal d'eux car ils ne "voulaient pas participer aux jeux de leurs futurs patrons" ! Puis le soir, quand ça cognait, je rentrais bien sagement à la maison...Il nous est arrivé aussi de vendre les numéros spéciaux de "Paris-Match" sur les "évènements" à la criée, les gens se les arrachaient, étant donné que les kiosques à journaux étaient fermés.

Mon lycée, Janson de Sailly, était "occupé", j'allais y faire un tour de temps en temps, c'était plutôt joyeux, même si certains de mes camarades que je ne savais pas si politisés jusque là prenaient ça très au sérieux. Je passais mon bac cette année-là et évidemment, comme tout le monde, je l'ai eu, alors que j'étais loin d'en être certain s'il n'y avait pas eu "les évènements". A la rentrée suivante, en prépa, nous avons eu droit à un "foyer" où on pouvait discuter, lire ou écouter de la musique.

Le 30 mai 1968, je suis allé à la grande manif pour De Gaulle sur les Champs-Elysées, organisée par Malraux, toujours par curiosité, et aussi sans doute parce que je trouvais que ça avait assez duré. C'était impressionnant de voir cette marée humaine. J'y retrouvais mes potes du mouvement anticommuniste "Occident", qui fut dissous par la suite, qui prenaient bien soin de défiler dans les contre-allées pour ne pas avoir l'air de soutenir trop ouvertement le gouvernement en place, tout en s'opposant avec vigueur à l'insurrection gauchiste.

Evidemment, tout n'avait pas commencé en 68, le "Wind of Change", d'après le titre de l'album d'Eric Burdon, soufflait déjà un peu partout depuis quelques années, particulièrement depuis 66-67, aux USA bien sûr avec les mouvements beatnik, hippie et psychédélique, et aussi en Angleterre ou en Hollande avec les Provos / Kabouters d'Amsterdam. En France ça s'est manifesté comme souvent de façon soudaine et violente, toujours le côté romantique révolutionnaire des Français. Et ce qui a fait aussi la spécificité du mouvement de mai 68, c'est cette conjonction avec une grève générale des ouvriers et salariés, même si les objectifs n'étaient pas les mêmes que ceux des étudiants.

Parmi les conséquences positives de mai 68, en plus des avantages obtenus par les salariés lors des accords de Grenelle, il faut aussi souligner les changements dans les rapports sociaux, qui devinrent moins autoritaires, moins arrogants. Et surtout, les années qui ont suivi ont été pleines d'effervescence et de créativité, dans toutes les directions : elles furent l'occasion de réinventer et d'expérimenter un peu tout, libération des moeurs, décrispation de la société, militantisme politique, féminisme, écologie, voyages dans l'esprit et dans l'espace (Asie), vie en communauté, etc... Certaines de ces expériences et de ces idées ont marqué profondément la société de leur empreinte et font maintenant partie de la vie de tous les jours, d'autres ont échoué par excès d'utopie et manque de réalisme.

Parmi les effets négatifs qu'on impute souvent à Mai 68, il y a la remise en cause de l'autorité, la déresponsabilisation, la culture de l'excuse ("c'est la faute à la Société"). Mais tous les maux de la France ne viennent pas de là, certains étaient en gestation depuis déjà quelque temps, avec l'influence importante de la Gauche et en particulier du PCF dans les années 50-60, dans les milieux intellectuels entre autres.

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