LES PIONNIERS DES RADIOS LIBRES




RADIO VERTE : Antoine LEFEBURE - Brice LALONDE
Antoine Lefébure a été un des premiers à s'intéresser à la liberté des ondes en France. Il avait commencé dès la fin des années 60, à l'époque des radios pirates comme Radio Caroline ou Radio London qui émettaient vers l'Angleterre à partir de bateaux amarrés en dehors des eaux territoriales. Après quelques premières expériences très localisées comme à la Fac de Jussieu, il fonda en 1974 avec Philippe Lorrain la revue Interférences consacrée à ces sujets. Il reçut l'aide du magazine Actuel, puis, grâce à une alliance pirates / écolos, il créa Radio Verte, dont la première émission historique data du 13 mai 1977 avec l'aide de Brice Lalonde, au domicile de Jean-Edern Hallier (décidément dans tous les coups !). La voie était ouverte !


la 1ère émission de Radio Verte, avec 
Jean-Edern Hallier, Antoine Lefébure, 
Alain Hervé et Brice Lalonde

Photo: Philippe Frilet, Sipa-Press

RADIO IVRE : Patrick VANTROEYEN - Jean-Marc KELLER - Jean-François AUBAC - MARINA "Léonie" URQUIDI - DOUME - FADIA DIMERDJI, qui animait "L'Arbre aux Merguez" avec Frédéric LAGRANGE, Messaoud HATOU - Claude "DULOUZE" MONNET qui fonda "Oblique FM" - Stéphane BILLOT -
Patrick LEYGONIE et les Trop'Ivre : Papa GIDDEON - General BURNING - Jean COTTON - Jean-Bernard SOHIEZ - FANNY "Blue Moon" - GUILLAUME 'I MAN DREAD' - Frédéric VOISIN et LUC ("Le Front du Froid") -  HERMANN ("Spoo-dee-o-dee" et "Tribulations"), BB GIVAUDAN (pour "Ska-Twist") avec Patrick EUDELINE - ARMANDO ("les tambours parlent") - 
GENEVIEVE - Franck BOISNAIS - Hélène LEE - DIDI - Ras PAUL UNIVERSALIS - VOIR LA GRILLE DES PROGRAMMES
CLAUDE LA BALISE (RIP) - Francis LESTY, le CYBORG FOU - François GORIN et ... (les plus Bop) - FLORENCE - AMERICO - MCP (MétaCulturePhysique) : Denis GLOTZ, Léo LANTÉRI, Eric "ATOMIC" CUSSET, Alain CORRIERAS - Christophe VILLANFIN - Laurent SAIGRE - Sir ALI (jazz)

Un autre de ces pionniers fut Patrick VanTroeyen qui lui fut influencé par Michel Lancelot et son émission Campus sur Europe 1 en 1969, un des rares espaces de liberté radiophoniques à l'époque. Il participa en 73 à la Fac de Jussieu à Radio Entonnoir (le surnom de Michel Debré, ministre de De Gaulle, puis de Pompidou), puis en 78 il créa Radio Nid de Coucou (toujours les asiles !) :





La 1ère équipe de Radio Ivre avec Sylvie (Lola), Jean-Marc Keller, Patrick VanTroeyen, Françoise et Jean-François Aubac

Jean-Marc KELLER : "La radio pirate des parisiens" depuis le 19/11/1978 existait sous une première version pour diffuser du reggae à partir de Colombes, Courbevoie et Paris 16ème...
Fusionne avec Radio Noctiluque et Radio Nid ...de Coucou en septembre 1979 pour devenir la Radio Ivre qui sera médiatisée uniquement par elle-même dans un premier temps, avec une régularité et une qualité vérifiée en temps réel de la réelle portée de ses émissions sur Paris. Ils émettent la nuit du vendredi et la nuit du samedi jusqu'au 10 mai 1981
Ils éclatent en de multiples radios pirates avant le 10 mai 1981 (ex: Radio Pom, Oblique FM)
Ils s'intallent progressivement dans des émissions en continu à partir de studios installés au Palace, au Théatre Noir de Belleville,...pour rejoindre pour finir un petit studio donnant sur la place du Tertre.
Ils obtiennent une autorisation d'émettre en 1982 via un mariage avec le projet Radio Nova
Ils cessent leurs émissions pirates le 14 juillet 1982 par un bal populaire place du Tertre à Paris.
Ils reviennent sur les ondes en septembre 1982 sous le nom de Nova Ivre
Ils deviennent Radio Nova en 1983.

Jean-François AUBAC : "Je participais très activement à cette épopée à l'époque en créant le 1 avril 1978 Radio Noctiluque. Nous étions nombreux à attendre de Giscard D'Estaing le droit d'émettre mais le premier juillet de la même année l'assemblée nationale en décida autrement. C'est à cette occasion que j'ai rencontré Patrick VanTroeyen et que nous avons décidé de fusionner nos "stations" et de continuer d'émettre alors que tous les autres s'arrêtaient. C'est ce que nous avons fait jusqu'en 1980 sous le nom de "Noctiluque-Nid de coucou". Pas facile à mémoriser, non ?
Nous étions trois assis dans mon salon du 37 avenue Gambetta Paris 20eme à l'automne 1978 : Patrick VanTroeyen, Claude Monnet qui créera ensuite Oblique FM et moi même Jean-François Aubac. Cela a duré 18 mois de cache-cache avec TDF (brouillages), les RG etc... avant que nous rencontrions Patrick Leygonie et Jean-Marc Keller qui avaient lancé depuis peu une station exclusivement reggae appelée Radio Ivre, à partir d'une chambre de bonne dans le 16ème.
Je pense que Annick Cojean a pensé que ces 18 mois étaient anecdotiques mais ils étaient l'essentiel du temps passé à réellement faire de la radio pirate."

A partir de ce moment, Radio Ivre émit tous les soirs, le studio changeait tout le temps d'endroit. Parmi eux :
la Tour Eve, la tour de la CLT sur le front de Seine, l'immeuble au dessus de Montparnasse, le duplex chez Brigitte Rouan au Panthéon, avenue Gambetta, chez le fils Bécaud à la Défense, au Palace, l'appartement de la rue d'Hauteville (n°70 ?) chez Alain Blanc, autrement nommé "Bretzel liquide" ou "Bretzel gazeux", chez Alain Corrieras, 26 rue du Plateau, aux Buttes Chaumont (la radio n'avait jamais été aussi bien "captée"), chez José Gerson le sculpteur de la place Léon Blum, chez Doumé, dans une ancienne usine rue de Palikao dans le 20ème, au Théâtre Noir dans le 12ème, et pour finir place du Tertre, après l'épisode de "Radio Liberté".


Radio Ivre 1980 : ?, Stephan "Cookie" Wislin, Jean-François Aubac, Alain Corrieras, "Entoc", his wife, Patrick "Coucou" VanTroeyen, Marina "Léonie" Urquidi, Patrick "Globo" Belce, ?, Marc Garcia


Papa Gideon Gentet


Doumé Lespinasse et Maurice Cullaz.

Claude La Balise et des Reggaemen


Patrick Vantroeyen et Claude La Balise (photos : Jean-Luc Buro)

General Burning : Avant Ivre, j'ai eu quelques expériences radiophoniques. Tout d'abord sur Radio 7, la station lancée par le pouvoir giscardien pour contrer les radios libres : en septembre 80, après mon premier voyage en Jamaïque, j'ai participé à l'émission de Larsen consacrée aux musiques noires, je passais les singles et maxis que j'avais rapportés de là bas.
Début 81 je revenais de mon deuxième voyage et j'ai participé à une conversation téléphonique à l'antenne d'Ici et Maintenant avec Gideon Delair, c'était la spécialité de cette radio historique interactive fondée en 1980 par Didier de Plaige, Gérard Lemaire et Guy Skornik. Par la suite nous y avons animé une émission et c'est là que nous avons pris comme pseudos General Burning et Papa Gideon, en référence à Michigan & Smiley, un duo de DJs qui cartonnait à l'époque avec Nice up the dance sur le riddim Studio One "Real rock".
J'écoutais aussi Radio Ivre, encore pirate, et particulièrement bien sûr les émissions reggae de Patrick où il jouait les singles bien roots qu'on pouvait trouver dans les boutiques de José Jourdain, "Blue Heaven" puis "Concrete Jungle" rue Chapon. Hélène Lee, la spécialiste du reggae dans "Libé" y participait.
Un soir, en juin 81, Gideon m'a emmené à Radio Ivre, dans un grand appartement du côté de la République, et c'est là que j'ai réalisé que Patrick Leygonie était un copain de lycée, on était dans la même classe en 4ème-3ème ! J'ai aussi rencontré Patrick Vantroeyen que je connaissais déjà de vue quand il était à Jussieu, ainsi que toute l'équipe, Doumé et Fadia Dimerdji, Jean-Marc Keller, Jean-Francois et Marina Urquidi, Laurent Saigre etc..
En août 81 je suis reparti en Jamaïque. À la rentrée Gideon m'a emmené à l'usine Pali-Kao, un squat dans le 20ème d'où Ivre émettait, ce soir là il y avait U Roy, que nous devions revoir plusieurs fois par la suite pendant ses séjours parisiens.
Patrick Leygonie a ensuite monté l'équipe "Trop Ivre" dans laquelle je faisais des émissions de reggae sous le nom de General Burning, le jeudi après-midi après celle de François Gorin et de son comparse, "Les plus Bop" (rock). J'animais aussi un programme consacré a la Soul music, "radio saoule", le samedi après l'émission théâtrale "Polichinelle" .
Dans Trop Ivre en plus de Patrick, il y avait aussi Papa Gideon, Jean Cotton , Guillaume 'I Man Dread', Fanny de Blue Moon, Jean-Bernard Sohiez, Hélène Lee, Ras Paul Universalis, le Front du Froid avec Frédéric et Luc, etc.. Pendant plusieurs mois, radio Ivre émit enfin depuis un endroit stable, le Théâtre Noir dans le 20ème.
L'épisode "Radio Liberté" : fin 81 ou début 82, il y avait un tel encombrement de la bande FM, avec certaines stations qui avaient plus de moyens et qui brouillaient les autres, que certains dont une bonne partie de radio Ivre, Patrick Vantroeyen en tête, décidèrent d'occuper le studio de l'une d'entre elles, Radio Trafic, situé Place du Tertre. Pendant plusieurs jours ce fut l'expérience éphémère de "Radio Liberté" avec du direct 24h/24 et pas mal de discours militants. C'est à la suite de ça que Radio Ivre s'est installée dans un studio au sommet de Montmartre, un bon endroit pour émettre sur toute la région parisienne.
Je me souviens aussi des AGs de Radio Ivre à la mode gauchiste avec ses luttes de pouvoir, où le vote de telle ou telle motion auxquelles je ne comprenais pas grand chose permettait de faire ou défaire les majorités !
Ensuite, sous l'impulsion du gouvernement Mauroy, les radios libres ont été incitées à se regrouper, et ça a été la fusion avec Nova dans laquelle Radio Ivre a perdu son âme et où je n'ai pas trouvé ma place. J'ai donc arrêté la radio à ce moment là, et je n'ai repris les émissions qu'en 88 sur Aligre FM, toujours dans le reggae, avec Pascal Soalhat et "I and I Music"

Camille Saféris Je me souviens de Radio Ivre. Des rires, des nuits blanches, des larmes et des coups de cœur. Je me souviens des loges du Palace, de Francis Lesty et sa voix grasse, de mon interview improbable d’Alain Pacadis. Je me souviens de la nuit du 10 mai 1981, quand je suis tombé sur François Mitterrand arrivant par une porte dérobée rue de Solférino. Du direct avec Jean-Marc Thibault depuis la cabine publique du hall avec le micro du téléphone. De cette longue nuit blanche à l’antenne depuis l’appartement d’André Popp, au 38ème étage de la Tour Eve à la Défense, animée par Doumé. Je me souviens de la place du Tertre, d’un studio d’enregistrement porte de Chatillon, de la rue d’Hauteville, des Taxi Girl et des autres, des défonces et des dérives, d’Yves Simon, de Jean-Louis Mahjun, de « l’amour en direct » qu’on avait fait bien avant Carbone 14, de Jacques Higelin qui vient nous parler de tout et de rien, et nous chanter n’importe quoi. Je me souviens des fêtes enfiévrées dans l’appartement du peintre José Gerson place Voltaire, de l’émission « classique » de l’après midi avec Hervé Asquin, de « La Balise Humaine » qui s’endormait avec à l’antenne la fin de la face A du 33 tours de Pink Floyd indéfiniment rayée. Je me souviens des changements de fréquence à la main quand les bips du brouillage commençaient, des platines posées dans l’évier d’une petite cuisine, des toits glissants quand on montait installer l’antenne, des réunions incessantes et des manifs pour « libérer la bande FM ». Je me souviens de Radio Ivre, des rêves, des délires, d’un joyeux bordel permanent, d’empoignades et de petits matins fatigués. Et de tous ces espoirs qui n’ont pas servi à grand-chose. à part peut-être à s’en souvenir aujourd’hui, ce qui n’est déja pas si mal.

Extrait du livre de Philippe Dana et de Léon Mercadet Les invités de la fête :
Je suis un enfant de la Préhistoire un bébé Cro-Magnon qui serait né avant l’invention du feu et qui aura eu la chance de voir d’audacieux sorciers (…)
À l’horizon du son la radio, même misère pour entendre du rock ou plutôt de la pop musique comme on disait avant le déluge, gamins et ados doivent régler le curseur de leur radio à pile, le transistor., sur la longueur d’onde de France Inter entre 22 heures et 23h30. À ces heures tardives beaucoup de parents veillent, est-ce que les feux sont bien éteints dans les chambres des collégiens? Le rituel impose souvent de s’enfuir sous les draps avec le transistor et là dans le noir, miracle, révélation, montait en sourdine les voix lointaines de deux sans visages : José Arthur et Patrice Blanc Francard, les animateurs du Pop Club. Ils annonçaient des noms de groupe d’un exotisme sulfureux, seigneurs de contrées lointaines comme la Californie, les Doors de Los Angeles, Jefferson Airplane de San Francisco ou plus proche, les Pink Floyd de Londres, Cream avec leur mage Eric Clapton. Alors c’est le nouvel échange secret de notre génération, des accords décentrés et des réverbs de guitare sont des rythmes neufs, (…)
Le pop club avait pris l’antenne à l’automne 1963 sur les transistors, une seconde voix pas psy est ajouté l’an de grâce 1968, celle de Jean-Bernard Hebey lancée par l’église concurrente, radio Luxembourg dans l’émission poste-restante hormis ces deux là rien que de la roucoule française. (….)
Un printemps pourtant frémissait. Subrepticement, vers 1977, à mi-course du règne de VGE, prince archaïque même s'il nous l’a jouée moderne, le formol s’évaporait. De très minces fissures surgissaient des voix et des sons encore plus subversifs, Plus rauques que les invocations du pop club et de poste-restante, rien que le nom faisait bander : radio Pirate, incroyable! les voix échappaient à tout contrôle étatique, proférées par des anars férus de technologie. Des noms circulaient chez les rares initiés : radio Ivre, radio Nid de Coucou, radio Noctiluque. Les plus instruits des initiés traçaient même leur ascendance romantique : les aïeux primitifs étaient nés en Angleterre et en Italie. Radio Caroline avait pris la mer en 1964 sur un bateau ancré en mer du Nord dans les eaux internationales, donc insaisissable. Pirates au sens propre (…)
En 1979 Mon copain Patrick Leygonie m’a demandé si j’étais libre dans la soirée. Il avait un rencard dans une fête, à l’autre bout de Paris, près de la place Gambetta dans le 20e arrondissement. J’ai dit oui et cela a changé ma vie. Il était entre 22 et 23 heures quant on a débarqué, l’heure à son importance qu’on comme on va voir. C’était un vaste appartement au dernière étage d’un immeuble haussmannien, l’étage aussi à son importance, une vingtaine de personnes pour la plupart plus agés que moi, buvaient des bières et fumaient des joints, pas du shit qui écroule, mais une Ganja stimulante, rien que de normal. Ce qui l’était moins était posé sur la table du salon, des micros avec des logos : radio Ivre 88.8 FM une musique syncopée et électrique saturait les pièces parfaitement adaptées à l’odeur dominante : du Reggae.
Ce n’était pas si courant à l’époque où la bande-son des soirées se cherchait entre le punk londonien et celui de Richard Hell et de Television. On m’a présenté à la maîtresse de maison, c’est une des fondatrice de la radio. Marina Urquidi était une mexicaine aux yeux bleus, regard perçant et elle vivait là avec son copain Jean-François Aubac. C’est l’autre fondateur de la radio. Jean-François portait les cheveux ultra longs encore en vogue à la fin des 70’s style Robert Plant, le chanteur de Led Zeppelin. On flairait tout de suite dans ce couple l’envie de réunir, de frapper en meute, nous étions chez eux mais c’était déjà chez nous, mon copain Leygonie surtout : il s’est assis devant un micro. Je me suis aperçu qu’il ne passait pas par ici par hasard mais comme animateur patenté. Tout le monde souriait, planait, mais en mode actif! l’émission venait de démarrer, à 22h c’était parti jusqu’à 2h du matin.
Outre le salon, l’autre spot à visiter impérativement fut la salle de bain. Là trônait l’émetteur qui diffusait chaque nuit, dans le désert parisien de la bande FM, les programmes de la radio pirate. Entre baignoire et lavabo officiait le troisième homme, un beau gosse de haute stature, baraqué, vêtu d’une chemise à carreaux et le cheveux déjà plus court, plus années 80. Patrick Vantroeyen, féru de technologie, avait dégoté en Italie l’émetteur sophistiqué qui permettait, en changeant régulièrement de fréquence d’échapper au brouillage. Engin stratégique car bien sûr les lyriques sans concession de Bob Marley I shot the sheriif n’étaient pas tombées dans l’oreille de flics sourds. On savait qu’il tournaient dans le quartier, planqués dans leurs camionnettes espionnes, à la poursuite de la fréquence et qu’il suffisait de trois camionnettes croisant leur faisceaux pour détecter par triangulation le lieu d’émission, faire irruption, embarquer le matos et toute la bande tant qu’à faire. Vantroeyen tout de bonnes grâce m’explique: le brouillage destiné à empêcher cette radio illégale d’émettre , les changements au quotidien de lieux d’émissions pour échapper à la police et la nécessité de ces lieux, les appartements prêtés par le réseau d’auditeurs devant de préférence être situés en hauteur c’est-à-dire le plus souvent à Belleville, Ménilmontant ou Montmartre, les points culminants de Paris.
Cette nuit là, radio Ivre diffuse des musiques neuves, beaucoup de reggae, Marley mais aussi Sly Dumbar et Robbie Shakespeare deux noms qui allaient se distinguer en participant à l’album coup de génie de Serge Gainsbourg, aux armes etc… (…)
Retour au salon, ou les animateurs se succèdent au micro. Je me souviens de Fadia Dimerdji, l’amoureuse de Patrick Leygonie, tous deux futurs piliers historique de la radio Nova de Jean-François bizot. Pour moi qui sortait à peine du lycée, je découvrais une explosion de sons, de rencontres, de sensations jamais éprouvées. (…)
Par chance, ce n’était pas très compliqué de rejoindre la bande : IVRE avait besoin de monde pour animer l’antenne tout au long de la nuit et dialoguer avec les auditeurs. L’époque incitait à la discussion, au débat. C’est pour ça que les radios libres s’écoutaient la nuit. L’auditeur savait qu’il pouvait intervenir à tout moment sur l’antenne, livrer un point de vue, faire part d’un coup de cœur musical ou passer une petite annonce. La radio la nuit, c’était le réseau social, le Facebook d’avant Internet, un ancêtre de Tinder ou adopteunmec: On a oublié qu’à cette époque le numéro de téléphone le plus populaire de France était Odéon 84–00, celui de l’horloge parlante. Dans la nuit, entre deux annonces de l’heure, des bouteilles à la mer sous forme d’un prénom et un numéro de téléphone, on appelait cela le réseau déjà : 21 heures, 12 minutes et 30 secondes, disait la voix métallique de l’horloge parlante.
Jean-Claude appelle, cherche une fille ou 326 12 54 ( le numéro n’avait alors que 7 chiffres ! ) une série de précisions sur les goûts précis de ce Jean-Claude venait se glisser dans les quelques secondes où sa voix n’était pas couvert par celle qui intervenait toutes les 15 secondes. Le plus souvent au bout de quelques tentatives, Jean-Claude obtenait le numéro de quelqu’un, garçon le plus souvent, connecté en parlant en même temps que lui sur Odeon 84 00.
J’ai donc vite été recruté à Ivre et c’est là dans ces longues nuits passées rue du plateau, rue d’Hauteville, rue de Palikao, que j’ai découvert du même coup la géographie de l’Est parisien et… un métier.
Mes collègues étaient des garçons et des filles qui adoraient la musique. Il mélangeaient rock, jazz, musique orientale et tropicales, un mix figurant ce que la banque d’activistes de Jean-François Bizot finira par nommer sono mondiale ! Nova se développera trois ans plus tard avec un noyau issu de Ivre mais c’est une autre histoire (…)
À Ivre, c’était la fête. Pas tous les soirs mais souvent. On buvait, on dansait, on fumait dans les appartements studio. On faisait de la radio aussi au passage. J’apprenais à parler dans le micro, improviser, interviewer. À l’antenne, la liberté d’expression totale peut s’avérer la meilleure ou la pire des écoles. Dans mon cas, ce fut la bonne. Mettons que j’étais doué pour la liberté. Je n’avais aucun plan de carrière, mais sans le savoir j’étais prêt pour la grande aventure.
Parmi les lieux qui vont héberger notre fameux émetteur, deux méritent une mention spéciale. D’abord un petit appartement, place du Tertre à Montmartre. (…) Et puis il y avait le Palace chez un seigneur de la nuit, Fabrice Emaer. Il venait d’investir des millions de francs pour rénover un vieux théâtre délabré de la rue du faubourg Montmartre, tout en dorures et velours rouge. Fabrice Emaer avait comme référence le studio 54 qui depuis plusieurs années était le phare des nuits new-yorkaise. Loin de taper dans le décor moderne, il avait eu l’esprit de conserver or et velours. Emaer s’est laissé convaincre par Vantroeyen d’héberger un temps Ivre. Il nous a installé dans un espace au sommet de l’immeuble du palace, les loges. Une fois nos émissions terminées, passé deux heures et jusqu’à l’aube, nous descendions dans l’invraisemblable boîte de nuit qui rassemblait Stars et Anonymes dans une ambiance jamais recréée depuis. On zigzague dans une foule hétéroclite de mannequins, designers, journalistes, stars du cinéma ou de la musique. Jean-Paul Gautier, et Yves Mourousi, Mick Jagger ou Serge Gainsbourg régnaient au milieu des lambdas qui avaient reussi à séduire Edwidge la physionomiste. Edwige la blonde platinée. De glorieux anciens se laisaient enlacer par des travestis : Aragon, Roland Barthes, Léon Zitrone la star absolue de la télé, qu’on retrouvera présentateur de la première des enfants du rock l’émission de Pierre Lescure en complet noir lunettes noires et cheveux gominés tirés en arrière.
Nous, les no-look de Ivre, en pauvres jeans et chemises au hasard, au départ sans goût pour la mode, croisions des marquis satiné du XVIIIe siècle, des bois mauves des années 20, des pulpeuses habillées de crinoline taillées dans des plastiques fluo : le Palace était à la fois le club le plus huppé et le plus démocratique. Au palace 1980, nous vivions le deuil éclatant du gauchisme, il n’y avait ni opinions ni intérêts, il n’y avait plus que des costumes portés une nuit, démodés le lendemain. (…)

Nadine Simoni : La radio a 100 ans. Les radios libres un peu plus de 40. Car oui, si l'arrivée de Mitterand le 10 mai 1981 a permis aux radios libres d'exister, radio ivre existait déjà avant cette date. J'ai rencontré l'équipe un soir de déprime fin 79. Ecoute de nuit oblige, la radio n'émettant que pendant les heures interdites aux perquisitions et saisie de matériel. Cette nuit là, appel à auditeurs car une journée chargée et pas assez de disques pour tenir l'antenne. J'appelle. Quelques questions plus tard j'ai une adresse où me rendre. J'arrive. Je me mets dans un coin, quelque peu intimidée. Pas loin de moi Yannick ( j'apprendrai plus tard qu'il bossait à Europe) et Jacques Methivet. Un mec derrière un micro me fait signe d'approcher et me demande de présenter ce que j'ai apporté. Grosse trouille. GenX, Bauhaus, Echo and the Bunnymen... L'homme derrière le micro s'appelle Marc Garcia. Il bosse aussi à Europe1 mais la radio libre c'est tellement plus... libre ! A la fin, alors que je suis encore tétanisée, il me dit que sur la forme c'est pas ça car pas habituée au micro mais que sur le fond, j'ai la tchache ??. Présente-nous une maquette, me dit il, appuyé par Patrick Vantroeyen et Jean Francois ! Et me voilà au département audiovisuel de la fac de vincennes où je bosse, à préparer une maquette. Mais l'idée de l'antenne seule, ça me fait bien flipper. Ca tombe bien ! Marc me voit bien en duo avec Laurent Bachet. Truc de dingue ! Laurent aime le boss j'aime Wyatt, il aime Mink de Ville je préfère les Cure... De tête, je dirais que nous avons choisi un instrumental des Fleshtones comme indicatif. Et à la fin on a dit : c'était notre indicatif ! Et là, Marc nous fait remarquer qu'on a le droit de parler sur un indicatif ?? ! Ah bon ? ?? Que de jolis souvenirs. Monter sur les toits, glisser sur une merde de pigeon, démarrer les platines à la main... Et puis le 10 mai 81... La veille, Laurent Saigre était en studio à la Défense. Et hop, descente de flics. Sans incidence, la victoire de Mitterand était déjà connue en haut lieu. Ce 10 mai 81, je suis place de la Bastille. d'une cabine téléphonique, j'interviens à l'antenne : Moi, fille de prolo, petite fille de prolo... Marc m'en parlais encore des années après... La radio à 100 ans, la radio libre 40, et moi même pas 30.

QUAND LE DRAPEAU PIRATE FLOTAIT SUR LES TOITS DE PARIS par Gérard BAR-DAVID

L'aventure se termina en 82 avec la fusion avec Nova : Radio Ivre perdit son âme dans cette union contre nature de l'une des radios les plus spontanées avec une autre qui était à l'époque "expérimentale" et "robotisée", sous l'influence d'anciens de France-Culture (JM FONBONNE, Pierre LATTES, Andrew ORR), où il était même mal vu de faire du direct, c'était trop "commun" ! Par la suite la tendance s'inversa, et NOVA devint la station de la "Sono Mondiale", mais il ne restait plus grand monde de l'équipe d'origine de Ivre

  La page de Radio Ivre
Une interview de Patrick Vantroeyen



RADIO ICI ET MAINTENANT : Didier DE PLAIGE, le fondateur de la radio en 1980 avec Gérard LEMAIRE et Guy SKORNIK.
Ici et Maintenant était fondée sur l'interactivité : libre antenne aux auditeurs, qui pouvaient aussi composer des programmes et les diffuser par le réseau téléphonique. Début 81, à l'invitation de Xavier Gentet (aka Papa Gideon) qui tentait à sa façon de faire entendre le reggae sur cette radio, c'est là que j'ai animé une de mes premières émissions (mes toutes premières ont été en 80 sur Radio 7, avec Larsen).

Xavier "Gideon" GENTET : "Après contact téléphone avec Skornik et De Plaige en 80
j'ai "aidé" à la première installation d'un studio stable pour la radio chez Guy (près de Trocadéro) en fournissant platine et table de mixage, lesquelles seront confisquées plus tard par les flics lors de leur descente sur I&M... (descente diffusée pour partie en direct à l'antenne). Il faut se rappeler aussi qu'une solution originale avait été trouvée pour émettre : ce n'est pas le studio et l'émetteur  qui bougeaient ensemble de lieu en lieu dans Paris, comme pour radio Ivre, mais l'émetteur seul qui voyageait entre 5 ou 6 hôtes équipés d'antenne, j'étais l'un de ceux-là et, par une réception ligne PTT venant du studio, j'ai souvent "émis" I&M de la rue du Four. Il est arrivé que l'émetteur voyage seul en taxi d'un point à un autre ; c'est ainsi, pour un problème d'adresse, qu'il s'est perdu pendant 36h dans la nature !
"

Un des principaux animateurs historiques de cette radio était Jean-Paul BOURRE, un personnage très intéressant et talentueux : il a écrit de nombreux livres, souvent en rapport avec l'ésotérisme, et fait des émissions passionnantes dans lesquelles il raconte ses souvenirs pendant des heures entières. Un de ses thèmes favoris était les années psychédéliques, mais il parle tout aussi bien de Nietszche, des débuts du Rock, des Blousons Noirs, de l'histoire de France, de l'Italie ou de l'Atlantide. Cette radio fut interdite par le CSA en 1995 sous prétexte de dérapages lors d'interventions d'auditeurs. Finalement, en 1997, le Conseil d'Etat lui a donné raison contre le CSA

Après quatre années d'hypocrisie et 14 mois de laborieuses tergiversations, le Mardi 4 janvier, l'assemblée pleinière du Conseil Supérieur de l'Audioviduel a enfin rendu justice à ICI & MAINTENANT!, en lui reconnaissant l'usage de la fréquence 95.2 FM en Ile de France pour lui rendre ses 13 heures volées en 1995, par "abus de pouvoir" (décision du Conseil d'Etat du 19 mars 1997)


Jean-Paul Bourre

Les émissions de Radio Ici et Maintenant ont donc repris, avec Jean-Paul Bourre qui a publié son autobiographie, Guerrier du rêve (Camion Noir).

CARBONE 14 avec SUPERNANA (RIP), Jean-Yves LAFESSE, devenu céléèbre par ses blagues téléphoniques, David GROSEXE,.. Ils ont poussé la liberté des ondes jusqu'au bout. Leur plus spectaculaire réussite a été l''Amour en direct' !

Radio TCHATCH, fondée par Serge KRUGER, l'une des premières à programmer essentiellement de la musique black, Salsa, Antillaise ou Africaine.
Serge : "J'ai commis en 81 la plus belle petite radio du monde : Tchatch dont je suis fier plus que de mes fringues ou autres facéties nocturnes : à travers des musiques qui dépasssaient déjà la Salsa et l'Afrique, c'était un pur cri ininterrompu de bonheur et de haine des cons par l'âme et le coeur de génies méconnus du monde entier et ça a duré 6 ans reproduit sur 84 radios en France !! (env 1h par jour et 24:24 à Paris) ce genre de truc objectivement n'est jamais arrivé depuis !"

Parmi les autres radios 'pionnières', on pourrait aussi citer :
RADIO ONZ'DEBROUILLE 102 MHz fondée par Alain LEGER et qui a émis sur Paris tous les jours du 15 février 1978 jusqu'à la fin juillet 78 puis depuis la Fac de Vincennes avec un grand direct lors de l'arrivée de la grande marche des paysans du Larzac
GILDA avec Patrick FILLIOUD, le fils du ministre, Radio TOMATE (Bruno GUATTARI), ALIGRE FM, avec Philippe VANNINI, NOVA, La Voix du Lézard (qui est devenue SKYROCK), CAROL FM, OBLIQUE, CITE FUTURE (Le Monde), NRJ, RFM, BOULEVARD DU ROCK, et bien d'autres...

Il y a beaucoup de points communs entre l'esprit de ces radios libres et ce qui se passe en ce moment sur l'Internet. Une sorte de 'prise de parole' par ceux qui en étaient exclus, et aussi cette interactivité. D'ailleurs, Antoine Lefébure a encore été un des premiers à créer une société de création de sites web. On sent le même souffle dans les nuits sur Ivre à dialoguer avec les auditeurs et les rapports qu'on peut nouer sur le Net.

A LIRE : FM, La folle histoire des radios libres d'Annick Cojean & Franck Eskenazi (Grasset)