Le mouvement punk existait à Paris bien avant l'explosion de Londres de 1976 : Dès 72, dans Rock & Folk, Yves Adrien signait ses rubriques 'Trash' sous le pseudo Eve 'Sweet Punk' Adrien. Elles étaient inspirées des articles de Lester Bangs dans le magazine US 'Creem' et de Nick Kent dans le NME. Son style, subjectif, d'un parti-pris allant parfois jusqu'à la mauvaise foi, se caractérisait déjà par une réaction contre le mouvement hippie.
Après le Manifeste de la panthère électrique dans le numéro 8 du Parapluie en juillet 1972, il signera dans le R&F n° 72 de janvier 1973 "Je chante le rock électrique", "pour ceux qui aiment leur rock violent, éphémère et sauvagement teenager" : "les teenagers préfèrent le bubblegum au marxisme, c'est heureux…L'aventure gauchiste n'est pas, dans le concept musical / électrique qui nous préoccupe, plus importante que la mode du twist ou des bottes à semelles compensées". Ses héros n'étaient pas le
Grateful Dead ou Genesis mais les Stooges, les Flaming Groovies, Kim Fowley ou les New-York Dolls. Parallèlement, Marc ZERMATI avait ouvert dans les Halles l'OPEN MARKET avec Jacques DAUTY, par ailleurs grand pêcheur à la ligne, d'abord rue du Roule, puis rue des Lombards, où il vendait les disques de ces groupes et où Yves ADRIEN est venu le rejoindre. Il ne valait mieux pas y entrer pour demander le dernier Yes ou Genesis !
Puis Yves Adrien
eut des disciples, comme Patrick EUDELINE qui commençait alors comme
Rock critic à BEST ou Alain PACADIS avec sa chronique hebdo 'White
Flash' dans Libé . En 73, les New York Dolls ravagèrent Paris avec deux
concerts à l'Olympia et une party chez Serge
KRUGER qui dura 5 jours
En 75, Michel ESTEBAN,
de retour de New York, fonda 'ROCK NEWS' avec Lizzy Mercier, un magazine
entièrement consacré au mouvement Punk qui commençait à sortir de
l'underground, particulièrement en Angleterre et à New York, avec Patti
SMITH, TELEVISION, Richard HELL, MINK DE VILLE etc. Sa boutique de tee-shirts, 'Harry Cover', rue des Halles, allait par la suite devenir le
lieu de rendez-vous des premiers groupes punks parisiens, et sa cave un
local de répétition.
Egalement de retour de
New-York après la séparation de son groupe 'Flamin' Youth', Elodie LAUTEN, la première égérie des punks
parisiens forma un groupe avec Jacno, puis avec les frères
BOULLANGER et donna quelques concerts avant de repartir, dégoûtée,
pour New-York où elle est devenue une compositrice de musique contemporaine réputée.
L'atmosphère de cette période "pré punk" était assez particulière car personne ne pouvait prévoir l'explosion punk de 77, en particulier en Angleterre où ils étaient assez loin de tout ça et plutôt dans le "prog rock".
En
Septembre 76, Pierre BENAIN organisa les premiers (et derniers) concerts des
SEX PISTOLS à Paris, au Chalet du
Lac du bois de Vincennes. C'est à ce moment que l'explosion se produisit : 77 fut
véritablement l'année punk avec par exemple le festival du Palais des
Glaces dans lequel on put voir CLASH, les DAMNED, JAM, GENERATION X et
pour lequel Yves Adrien sortit de son long exil de Verneuil où il
n'écoutait plus que Sinatra. En même temps, on vit apparaître de
nombreux groupes punk parisiens, dont certains étaient en gestation
depuis déjà un bon moment : STINKY TOYS, ASPHALT JUNGLE (le groupe de
Patrick Eudeline), METAL URBAIN, ANGEL FACE, LOOSE HEART,... Ces groupes
se produisirent dans le cadre d'un mini-festival au Théâtre
Mouffetard.
Cette année-
là, il y eut des parties tous les soirs ou presque, certaines dans des
endroits sordides, d'autres chez des enfants de milliardaires qui
voulaient 'faire punk'. On eut même droit à la soirée punk chez
Régine, boulevard du Montparnasse (les punks vinrent en nombre, mais ne purent pas entrer) ! Certaines parties duraient plusieurs jours, comme celle chez Martine qui était toujours accompagnée de son inséparable
Nathalie, la 'Grande Gueule des Punks' au grand coeur. La plupart des premiers punks étaient très gentils, sensibles, doux, souvent timides, ce qui contrastait avec la violence de leur musique et
de leurs textes. Ils carburaient au Fringanor (amphétamines), et à l'héroïne et mettaient un point d'honneur à
ne pas fumer de joints ("c'est un truc de babas !"). Mais quand j'en allumais un dans une soirée,
certains s'approchaient de moi, discrètement, pour qu'on ne les voit pas tirer dessus !
En 77-78, j’ai collaboré au magazine punk de San Francisco Search and Destroy, sous le pseudo de Bernie Rebel. Je tenais la chronique de la scène punk parisienne, et avec Laurence dite Aphrodisia nous avons interviewé Métal Urbain pour eux. Je suis d'ailleurs allé à San Francisco, sans fleurs dans les cheveux, mais pour retrouver mon amie Connie au début de 78. Je passais souvent mes soirées au club Punk du moment, le "Mabuhay Gardens", où j'ai pu voir divers groupes de la scène californienne, comme les Germs, et aussi le mythique DEVO. J'ai eu aussi l'occasion d'y voir les Sex Pistols lors de leur dernier concert au Winterland, et deux jours plus tard, je prenais le même avion pour New York que Johnny Rotten, acompagné de Joe Stevens, le photographe du NME que j'avais rencontré à Paris avec Nick Kent !
Au cours de cette même
année 77, en Jamaïque le groupe Culture célébrait 'le choc
des deux Sept' (Two Sevens Clash) : ce fut aussi l'année de l'explosion
du reggae et pendant quelque temps, il y eut une
vraie solidarité entre les punks et les rastas, qui étaient
aussi en révolte contre 'Babylone'. D'ailleurs, chez eux, les
punks écoutaient beaucoup de reggae, en particulier Tapper Zukie
et Dillinger. Mais, au delà de cet esprit commun de révolte,
les deux philosophies n'étaient pas vraiment compatibles, l'une
étant plutôt nihiliste et "destroy" et l'autre étant
positive et 'Ital'.
On pourra qualifier cette première
vague de punks parisiens de 'mondaine et intello' (ce n'est pas péjoratif).
En effet, comme je l'ai dit plus haut, dans cette période 77-78,
il y eut des teufs pratiquement tous les soirs, et les punks, qui
étaient alors à la mode (on dirait aujourd'hui 'furieusement
tendance'), eurent souvent l'occasion de fréquenter des milieux
friqués, comme le monde des galeries d'art, du showbiz et des
night clubs, et la plupart jouèrent le jeu, ne cherchant pas la
provoc à tout prix. Et quand la fête était finie, certains
comme Capta, Pacadis, Henri Flesh, Edwige ou Fury, finissaient
volontiers la nuit dans des boîtes gay/chic comme le Sept rue Ste Anne. En mars 78, il y
eut l'ouverture du Palace, et le sacre d'Edwige comme 'Reine des
Punks', ce qui contribua encore plus à cette mondanisation, avec
des journaux comme Façade. Et Clode, de Métal urbain,
disait qu'il était probablement le seul punk à habiter dans un
HLM !
Ce qui contraste avec les vagues de punks qui ont suivi, qui étaient eux bien plus authentiques, avec des groupes comme
Oberkampf ou La Souris Déglinguée. Mais alors j'avais décroché depuis
longtemps, le no-future, ça allait un moment...
Caroline GROSOS et Coco CHARNEL avec lesquels j'ai formé un groupe punk
éphémère. Par la suite Coco a joué avec les GO-GO PIGALLE avec Ricky Beaulieu (gu & ch), Nick Lamour (bas), Lindo Vegas
(bat), Ray Deauville (sax). -
Edwige et Coco Charnel
Le lieu de rassemblement favori des punks était le quartier des Halles, en pleine transformation.
Et bien sûr, le GIBUS des frères Taïeb où passaient presque tous les soirs des groupes punks, français ou anglais. Parmi eux, Police avec Henri Padovani, leur premier guitariste, Cherry Vanilla, une groupie warholienne qui avait monté son groupe, Ultravox, etc... A côté du Gibus, il y avait "La Bonne Bière", qui servait de 'before' à Eudeline et toute sa bande
Fondé en 1967, le Gibus est à l'origine un lieu polyvalent, à la fois pizzeria, salle de concert et boite de nuit. La fin des années 60 et le début des 70's groovent allègrement sur fond de twist, de rythm'n'blues et de rock'n'roll. En 1977, la déferlante punk fait crisser les dents des bourgeois, et le Gibus accueille cette nouvelle génération de provocateurs imbibés de bières et d'idéaux révolutionnaires.
Patrick Eudeline, journaliste et musicien, évoque comment il a lancé ses premières soirées au Gibus. Après maintes tractations, ( le boss ) ne pense vraiment pas que les groupes punk vont remplir sa boite, mais il me fait confiance en me donnant un pourcentage sur les entrées. C'est bourré tous les soirs! Tous les punks parisiens viennent nous écouter et pour découvrir Contingent Anonyme, Man Ray, Métal Urbain En deux mois, devient le lieu ! (extrait de Nos Années de Punk de Christian Eudeline ).
Quant à Alain Pacadis, ce futur chroniqueur du Palace, il raconte dans Libération ( 9 février 1977 ): A 24 h 30, concert d'Asphalt Jungle au Gibus. Toute la scène punk parisienne est rassemblée et applaudit un rock, déluge de sons overdosés qui, quelque fois, n'ont plus rien à voir avec la musique. Il y a autant de différence entre le punk-rock en 1977 et le rock classique qu'entre une toile abstraite de Mondrian et un Léonard de Vinci. Tous les plus grands groupes, jusqu'aux Sex Pistols, aux Clash et à Siouxsie and the Banshees monteront sur la scène du Gibus dans une ambiance de pogo généralisé.
L'OPEN MARKET, rue des
Lombards : Marc ZERMATI , qui a fondé le
label SKYDOG - Jacques DAUTY - Yves ADRIEN - Henri-Paul TORTOSA, qui répétait dans la cave avec son groupe les ROCK DOLLS et qui a joué par la suite avec Johnny
THUNDERS - Bruno CARUSO - PIERO - Daniel VERMEILLE - GEORGINA - MARTINE - C'est là que Maurice DANTEC est venu acheter ses premiers disques
Marc Zermati & Joe Strummer photo : Catherine FAUX
L'Open Market en 74 : Jacques Dauty, Georgina, Larry Debay, Marc Zermati, Claudine C.
MARC ZERMATI EST DÉCÉDÉ LE 13 JUIN 2020. Quelques articles sur lui :